En moins de dix ans, la cigarette électronique est passée du statut d’objet de curiosité un peu farfelu à celui de produit de consommation grand public de plus en plus répandu. Les acteurs de la filière ont rapidement compris la nécessité d’accompagner le développement de ce marché par la mise en place de normes, pour le moment expérimentales. Destinées à pérenniser les bonnes pratiques, elles se révèlent à la fois la traduction d’exigences législatives et une réponse aux polémiques sanitaires nées Outre-Atlantique.
Septembre 2019, aux Etats-Unis. Le CDC, Centre pour le Contrôle et la prévention des Maladies, recense un nombre de cas important de pneumopathies aigues survenant chez des utilisateurs de cigarettes électroniques. 1500 personnes sont hospitalisées. Le scandale éclate, localement puis dans le monde entier. Après enquête, il sera établi que la plupart de ces patients avaient ajouté du THC, principe actif du cannabis, au liquide de leurs e-cigarettes. Mais entre temps, le doute s’est installé dans l’esprit du consommateur. La filière française va devoir faire montre de pédagogie pour rassurer les fumeurs. En France ces dérives sont en effet quasi-impossibles, les acteurs de la e-cigarette s’étant employé très tôt à encadrer la production des produits, en partenariat avec l’AFNOR.
Fin 2013, l’Institut National de la Consommation (INC), l’Association Indépendante des Utilisateurs de Cigarettes Electroniques (AIDUCE), le Collectif des Acteurs de la Cigarette Electronique (CACE), la Fédération Interprofessionnelle de la vape (FIVAPE) et l’Office Français de prévention du Tabagisme (OFT), ont annoncé la création d’un front commun pour améliorer l’information des consommateurs et garantir la qualité des produits. Dans ce contexte, explique Joanna Laurent, Chef de projet et secrétaire de ce groupe de travail à l’AFNOR, « les acteurs du marché se sont rapprochés de nous pour initier un processus de normalisation volontaire sur lequel s’appuyer comme vecteur pour la professionnalisation et le développement de leur filière ». A la tête du groupe de travail, est choisi Bertrand Dautzenberg, pneumologue et tabacologue. Il avait été mandaté début 2013 par la Ministre de la Santé par Marisol Touraine pour évaluer le rapport bénéfices-risques de la cigarette électronique. « Son expérience de l’addiction et ses travaux l’ont décidé à devenir actif dans la vulgarisation scientifique autour de l’utilité du produit », témoigne Jean Moiroud, Président de la FIVAPE. « Cela l’a amené à présider la commission de l’AFNOR, dans laquelle il a joué un rôle de chef d’orchestre impartial qui a permis l’avancée rapide des travaux ».
Effectivement, bien que siègent autour des la table des acteurs aux intérêts parfois divergents, deux normes expérimentales relatives aux cigarettes électroniques et aux e-liquides voient le jour en mars 2015, suivie d’une troisième en juillet 2016, relative à la mesure des émissions des e-cigarettes.
Les acteurs réunis autour de la table se sont attachés à sélectionner les meilleures pratiques afin d’en faire la norme – de la technique de vaporisation par résistance chauffante à la composition des liquides. « Ceux-ci ne peuvent être composés que de quatre types d’ingrédients », souligne Maud Girardat, Chef de produit senior chez Gaïatrend, le leader des e-liquides en France – A savoir du propylène glycol, de la glycérine végétale, des arômes, et de la nicotine. « La norme AFNOR indique clairement ce qui doit être dans un e-liquide, et donc certainement pas de l’huile de THC, comme l’ont fait certains jeunes Américains, qui malheureusement en sont morts ».
Autre garde-fou : le taux de nicotine maximal autorisé par la législation européenne, soit 20mg/ml. On est loin, là aussi, des 56g/ml qu’on trouvait dans les e-cigarettes Juul plébiscitées par les jeunes Américains et entraînant une dépendance immédiate. « The Price of Cool : A teenager, a Juul, and Nicotine Addiction », titrait le New York Times en 2018. A tel point que le produit a finalement été retiré du marché en fin d’année dernière.
C’est bien pour éviter ce genre d’écueils que les acteurs de la filière française ont voulu avancer vite, pour éviter de tuer dans l’œuf un marché émergeant et des entreprises de petite taille, une spécificité hexagonale.
« Les acteurs français ont très peur de la réglementation », témoigne Bertrand Dautzenberg. La réglementation européenne relative aux cigarettes électroniques a été incorporée en 2014 à une Directive sur les produits du tabac (2014/40/EU). « On a essayé de répondre aux exigences de ce texte, qui se rapprochent d’exigences liées à des médicaments alors qu’il s’agit d’un produit grand public ». A l’époque, à Bruxelles, s’étaient affrontés dans les couloirs de la Commission les lobbyistes des laboratoires pharmaceutiques et ceux des multinationales du tabac. Finalement, la e-cigarette est restée du côté du tabac. « Dans la plupart des pays, se sont les cigarettiers qui sont sur le marché de la cigarette électronique, alors qu’en France on a beaucoup de PME », analyse Joanna Laurent. « Ce qui explique qu’on ait eu beaucoup de pression de la part de ces entreprises, qui jouent leurs survie face aux plus gros acteurs ». Par ailleurs, leurs dimensions modestes les rendent agiles, ce qui facilite les prises de décision rapide lorsqu’il s’est agit de faire des propositions, aux autorités comme à l’AFNOR. « L’expertise et l’innovation est de notre côté », raconte Jean Moiroud lorsqu’il explique son rapport aux gros cigarettiers. « Les multinationales sont autour de la table mais elles sont peu présentes sur notre marché, commercialisent peu de produits, sont peu actives sur les calendriers de lancement ».
La rapidité avec laquelle les normes expérimentales AFNOR ont été conçues doit donc beaucoup à cet esprit start-up. Pour autant, l’interprofession – fabricants et distributeurs représentés par la FIVAPE – a compris que les normes devaient continuer à évoluer afin de répondre à l’évolution des connaissances et des marchés. « Le livre que nous avons ouvert ne va pas se refermer », s’amuse Jean Moiroud.
De fait, les normes expérimentales ont par essence une durée de vie limitée et sont amenées à être abandonnées ou transformées en homologations NF. Dans le cas présent, le comité a décidé de réviser les trois normes, afin qu’elles répondent à des problématiques qui n’avaient pas été identifiées lors des précédents travaux. On parlera par exemple de e-liquides nicotinés ou non nicotinés », détaille Joanna Laurent, une sémantique qui permet de de bien différencier ces produits d’autres liquides. La mise à jour des trois normes devrait être publiée d’ici la fin de l’année 2020, à nouveau pour une durée expérimentale de trois ans.
L’avance prise par la France en ce domaine permet également à la filière française d’être intégrée dans les discussions qui ont désormais lieu aux niveaux européen et international, au sein du CEN et de l’ISO. Fin 2018, les premières normes européennes et internationales ont vu le jour. En 2019, quatre nouveaux projets sur les méthodes d’essais ont été initiés, développés par le comité technique de l’ISO 126/SC3 ‘’Vapotage et produits associés’’ et le comité technique TC 437 du CEN ‘’Cigarettes électroniques et e-liquides’’.
A ce niveau là, « notre parole se dilue », regrette la FIVAPE, et le souci de protéger le consommateur s’efface au profit de problématiques industrielles. « Le travail de l’ISO n’est pas du tout concurrent des réflexions de l’AFNOR », complète Bertrand Dautzenberg. L’ISO prépare en effet des normes relatives à la technologie, à la machine à vapoter, aux réglages à apporter au dispositif, sur la façon dont on peut doser la nicotine, etc. Mais « ni l’ISO ni le CEN ne sont vraiment dans l’optique de la protection du consommateur, plutôt dans celle de la production des industriels qui pourront affirmer avoir procédé à des tests standardisés, dans l’optique de se protéger du législateur ». Et d’ajouter, en guise de conclusion : « l’AFNOR est très clairement leader mondial sur cette normalisation, axée sur la protection du consommateur, avec toute la difficulté de se bagarrer contre l’argent des cigarettiers. Il s’agit là d’un travail admirable ».
La vape : Chiffres clé
Le marché français
2015 : 130 millions d’euros
2018 : 820 millions d’euros
3000 boutiques spécialisées
Troisième marché derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni
Les 4 plus grands fabricants français : Gaïatrend, Vincent Dans les Vapes, D’lice, Fuu
En 2017, 1,8 millions de français vapotaient quotidiennement
Comment les Français arrêtent de fumer ?
27 % des fumeurs ont eu recours à la cigarette électronique
18% à des substituts nicotiniques (patchs, gommes à mâcher…)
10% à des professionnels de santé (acuponcture, hypnose…)
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