La coopération franco-chinoise sur les rails


En 2014, Afnor a signé un accord avec son homologue chinois, la Standardization Administration of China (SAC) afin de renforcer la coopération franco-chinoise en matière de normalisation dans plusieurs domaines stratégiques pour les deux pays : les smart cities, la silver économie, l’agroalimentaire, le rail. En avril 2017, les deux organisations se rencontreront pour faire le point sur les actions en cours et établir une nouvelle feuille de route. Que s’est-il passé entre temps ? Retour sur trois ans de coopération.

En 2012, Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, identifie la nouvelle exigence des consommateurs urbains des pays développés ou émergents : « le mieux vivre ». Partant de ce credo, le ministère définit une nouvelle stratégie pour les exportations françaises, articulées autour de quatre besoins fondamentaux : mieux se nourrir, mieux se soigner, mieux communiquer et mieux vivre en ville. Suite à cette réflexion, l’Association française de normalisation (Afnor) signe le 26 mars 2014 à l’Élysée un accord avec la Standardization Administration of China (SAC), sous l’égide des chefs d’État des deux pays, Xi Jinping et François Hollande. Objectif : faciliter les échanges bilatéraux. Les secteurs économiques concernés sont ceux qui servent les besoins fondamentaux du consommateur : l’industrie agroalimentaire, la silver économie, le transport ferroviaire et les villes intelligentes. Et ce qui se révèle stratégique pour la France l’est aussi pour la Chine. En effet, si l’Empire du Milieu est perçu comme un possible eldorado par les puissances étrangères, la taille du marché intérieur est avant tout un énorme défi pour les dirigeants chinois – défi protéiforme car il s’agit tout autant de répondre aux nouvelles exigences de la non moins nouvelle classe moyenne chinoise, que d’harmoniser les législations d’un pays composé de 34 provinces aux réglementations disparates.

La sécurité alimentaire

Soucieuses de rassurer le consommateur chinois, ébranlé par de nombreux scandales sanitaires dont celui de la mélamine dans le lait en 2008, les autorités souhaitent utiliser l’appareil normatif afin de redonner confiance dans la production nationale. Afin de sécuriser leurs approvisionnements, les Chinois investissent massivement en dehors de leurs frontières, comme récemment à Carhaix, en Bretagne, où ils ont investi dans une usine de transformation de lait en poudre infantile pour les besoins de leur consommation intérieure, y compris sur un plan qualitatif. Autre valeur ajoutée de la normalisation pour répondre à la pression domestique : l’amélioration des rendements. En effet, la productivité est aujourd’hui un vrai défi pour l’agriculture chinoise, très morcelée et la dimension optimisation de la normalisation doit contribuer à relever le défi. « Par ailleurs, les autorités chinoises comptent sur l’application des normes internationales pour promouvoir un savoir-faire », explique Nadine Normand, responsable département des secteurs agroalimentaire, santé et action sociale chez Afnor. Ainsi, dans certains domaines, la SAC met en avant l’expertise nationale. Par exemple, dans le domaine apicole, une norme a été mise au point sur la gelée royale au niveau international sur initiative chinoise. « Le bénéfice est double : la Chine redonne de la valeur a ses produits pour un consommateur chinois soupçonneux et se positionne sur le marché mondial », ajoute Nadine Normand.

Enfin, l’harmonisation des normes dans la filière agroalimentaire aurait un autre effet : favoriser les entreprises étrangères et notamment françaises, qui se voient imposer des modalités qui sont autant de freins aux échanges. Dans le domaine vinicole par exemple, la Chine teste à l’entrée la teneur des vins en permanganate de potassium – un ingrédient que les Chinois utilisent afin de colorer cet alcool – alors que la France, qui n’utilise pas ce procédé, voit sa production bloquée à la frontière faute d’avoir testé la teneur en permanganate de sa propre production.

La silver économie

« Autant sur l’agroalimentaire, la Chine est force de proposition, explique Nadine Normand, autant sur la silver économie la Chine est demandeuse ». Confrontée au vieillissement de sa population, d’autant plus aigu que la politique de l’enfant unique en a accéléré le rythme, l’Empire du Milieu observe de près ce qui est mis au point dans l’Hexagone. L’adoption par la France de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV) en janvier 2016 traduit une expertise française et a suscité des échanges sur le sujet à un niveau européen. Aujourd’hui, la Chine regarde de près quelles seront les modalités pratiques de la loi. Les principales activités liées à cette économie : les Établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (EHPAD), les services à la personne (SAP), les objets connectés. Dans le domaine de la prise en charge des personnes âgées, les entreprises françaises jouissent d’une excellente réputation et la Chine semble un marché prometteur : le pays devrait tripler le nombre de place dans ses établissements spécialisés, pour passer à neuf millions dans les prochaines années. Les Français Colisée ou Korian, par exemple, s’implantent donc en Chine. « Dans ce contexte, la normalisation peut être un instrument d’accompagnement des acteurs français », souligne Nadine Normand. La Chine a repris les normes internationales dans le domaine des dispositifs médicaux électriques, tandis que des formations aux normes les plus importantes sont organisées. Pour le reste, la normalisation, partout dans le monde, en est encore à un stade prospectif et beaucoup reste à faire.

Les smart cities

En matière de villes intelligentes, la coopération semble plus avancée et concrète, la réflexion sur le sujet ayant été antérieure à la signature des accords franco-chinois. Comme dans l’agroalimentaire et la silver economie, l’intérêt des Chinois vient de la pression d’une classe moyenne soucieuse de ses conditions de vie, alors que le pays fait face à des épisodes de pollution intenses et répétés, en particulier en milieu urbain. En 2012, Afnor avait pensé créer un comité technique sur l’aménagement durable des villes et des collectivités,  suggestion à l’origine du comité technique TC268, auquel siègent les Français comme les Chinois. Tout a commencé par un International Workshop Agreement (IWA), développé par Afnor à la demande de La Défense, qui présidait un réseau international de quartiers d’affaires et souhaitait aller vers une labellisation. Cet IWA a été l’un des premiers groupes montés au niveau de l’ISO sur la thématique de la ville durable. L’IWA Quartiers d’Affaires a été élargi à la Communauté d’agglomération Versailles Grand Parc, désormais jumelé à un quartier d’affaires de Pékin, le Beijing Future Science Park. « Nous avons bâti une plateforme franco-chinoise », explique Jean-Michel Rémy, responsable du département construction et cycle de l’eau d’Afnor. Afnor et la SAC sont partenaires par l’intermédiaire d’un bureau d’études, Blue Path, qui est prestataire commun. Objectif : transposer en normes chinoises les normes françaises de l’IWA, afin de pouvoir porter ensemble une proposition franco-chinoise de vraie norme ISO. Cette cogestion réussie sur le Beijing Future Science Park a donné l’idée de monter un Club de Villes qui devrait être piloté par Hangzhou, désignée comme ville pilote par le gouvernement chinois en matière de normalisation.

Le séminaire qui aura lieu à Paris le 24 avril 2017 sera l’occasion de faire le point sur ce projet de Club, ainsi que sur la coopération franco-chinoise de façon plus générale. « Depuis le premier séminaire qui avait été organisé à Pékin en 2015, nous avons appris à nous connaitre », témoigne Pascale Mienville, Responsable des relations internationales d’Afnor. « Nos partenaires ont compris qu’harmoniser les normes n’est pas à imposer des normes nationales, mais se mettre autour de la table pour mettre au point des normes communes ».

Stéphanie Nedjar

Paroles d’expert

Alain Costes, directeur de la normalisation d’Afnor

« Une coopération mutuellement profitable qui nous fait aller de l’avant »

Enjeux : Qu’est-ce-qui pousse les Chinois à être aussi actifs dans le champ de la normalisation ?

Alain Costes : La Chine fait face à des défis considérables, qu’il s’agisse d’assurer la sécurité alimentaire de sa population, de répondre au vieillissement de sa population, d’organiser son urbanisation de manière durable. La norme les intéresse au plus au point car elle définit des critères qualitatifs et des méthodes de management qui accompagnent le développement.

E. : Comment ont été choisis les secteurs économiques sur lesquels porte la coopération franco-chinoise ?

A.C. : Agroalimentaire, smart cities, silver économie, ces thèmes répondent au besoin qu’à la Chine d’organiser son marché intérieur et de satisfaire aux exigences de la nouvelle classe moyenne. Côté français, cela correspond aux thématiques choisies pour accompagner le commerce extérieur français. Il s’agit de secteurs sur lesquels les entreprises françaises – souvent implantées en Chine – ont une expertise reconnue.

E. : La normalisation permettra t-elle aux Français l’accès au marché ?

Le marché chinois représente un potentiel considérable pour nos entreprises. La différence de normes, ou d’interprétation des normes, est aujourd’hui un frein aux échanges. Les Chinois croient parfois utiliser des normes ISO alors qu’en fait elles sont obsolètes, ou on été retouchées, transposées… En cela, notre coopération peut les aider à avancer. Par ailleurs, une normalisation sans équivoque au plan national aidera le gouvernement à éliminer les différentes strates de normes, locales, municipales, régionales, ministérielles… Les manuels d’utilisation ou les livrets d’accueil sont parfois assimilés à des normes ! Cette profusion normative rend l’ensemble peu lisible pour les entreprises françaises qui souhaitent s’implanter.

E. : Les Chinois sont très présents dans les instances de normalisation internationales, doit-on y voir une nouvelle forme d’impérialisme ?

A.C. : La Chine veut d’abord organiser son marché intérieur, c’est très clair. De par la taille de ce marché, la Chine est une grande puissance mondiale et elle entend occuper la place qui lui revient. Lors du dernier G20, puis à Davos, Xi Jinping a prononcé des discours au cours desquels il désignait la norme comme outil destiné à faciliter le commerce international. Les Chinois veulent effectivement être présents dans la normalisation internationale et cherchent donc des partenariats pour les aider à y être.

E. : Le partenariat Afnor-SAC les y aide t-il ?

A.C. : Lorsque les Chinois font des propositions à l’ISO, leur taux d’échec est important car ils n’ont pas l’habitude de déposer des dossiers et ne sont pas très à l’aise avec l’anglais. Nous les aidons à améliorer leur technicité, et les poussons à la concertation, qui ne fait pas forcément partie de leur méthode de gouvernance naturelle. L’expertise française en la matière est reconnue et la coopération réelle. D’ailleurs, la nomination d’Olivier Peyrat comme membre du Comité d’experts normalisation du gouvernement Chinois en 2016 traduit bien la teneur de notre partenariat, basé sur la confiance.

E. : Qu’a t-on à y gagner ?

A.C. : Nous préférons former les Chinois afin qu’ils soient associés à la normalisation internationale, plutôt que de les laisser aller vers un autre modèle, comme celui des Etats-Unis. Autre écueil possible, la Chine pourrait développer son propre modèle, disjoint ou qui pourrait devenir la référence mondiale ! La Chine est le seul pays avec lequel nous avons un partenariat aussi poussé, à la hauteur des enjeux. Tout opportunité est intéressante pour faciliter les échanges et nous tâchons de créer un cadre favorable à nos entreprises.

Propos recueillis par Stéphanie Nedjar

ENCADRÉ

Le comité de pilotage de la normalisation s’intéresse à la Corée du Sud

Troisième pays d’Asie en termes de responsabilité à l’ISO, la Corée du Sud participe à la montée en puissance de cette région dans les instances de normalisation internationale. Particulièrement actif dans les technologies de l’information et de la communication, le Pays du Matin calme est devenu un acteur incontournable. « Au milieu des années 1990, la pays a commencé à accroître sa participation aux travaux de l’ISO et de l’IEC, dans le cadre d’une stratégie plus globale de renforcement de sa présence sur la scène internationale », rapporte le Comité de coordination et de pilotage de la normalisation (CCPN) d’Afnor, qui suit de près l’évolution du positionnement de la Corée dans la normalisation internationale. Rattachée au ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Énergie, la Korean Agency for Technology and Standards (KATS) a défini une stratégie qui repose notamment sur sa participation active au plan international afin de réduire les obstacles techniques au commerce.

Six fois membre du Conseil depuis son entrée à l’ISO en 1963, élue trois fois au Technical Management Board (TMB) depuis 2005, la KATS fait partie du Conseil de direction du Standardization Management Board (SMB) et de l’International Electrotechnical Commission (IEC), gère 18 secrétariats et anime 88 groupes de travail. « Bien qu’en retrait par rapport à la Chine et au Japon, à l’aune de son PIB on peut la classer parmi les pays actifs », note le CCPN. La KATS a signé en 2007 un Memorandum of Understanding avec l’Afnor et gère un secrétariat jumelé avec elle, l’ISO/TC 38/SC 24, relatif aux atmosphères de conditionnement et essais physiques des étoffes.

S. N.

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