A l’heure où la xénophobie et le protectionnisme semblent être des réponses aux dommages collatéraux de la mondialisation, les responsables de plusieurs pays européens pressent l’Union Européenne de soutenir l’industrie du Vieux Continent, menacée. La réindustrialisation de l’Europe doit être une priorité.
En janvier dernier, Christophe Sirugue, Secrétaire d’État à l’Industrie, et Matthias Fekl, Secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur, publiaient une tribune dans Libération, véritable plaidoyer en faveur du « Make in Europe ». Dans la foulée, Christophe Sirugue participait au Conseil Compétitivité de Bruxelles, où il échangeait sur ce thème avec ses homologues. Quelques jours plus tard, cinq ministres européens en charge de l’industrie, MM. Calenda (Italie), Cisteto-Blanco (Espagne), Kwiecinsky (Pologne), Machnig (Allemagne) et Sirugue, publiaient une tribune commune dans les Echos : « L’Europe doit relancer sa politique industrielle », urgent-ils, car si en volumes l’industrie résiste, l’emploi industriel est menacé : 32 millions d’emplois industriels en Europe en 1993, plus que 24 millions en 2015. Et contrairement aux idées reçues, ce rétrécissement du marché de l’emploi s’observe tant en Europe de l’ouest qu’en Europe centrale.
L’UE DEJA AU TRAVAIL
La Commission a pourtant déjà pris de nombreuses initiatives en ce sens. En
2010, les dirigeants européens ont présenté Stratégie
Europe 2020 afin d’aider l’Europe à se relever de la crise. La Commission
prévoyait un plan pour mettre la compétitivité industrielle et le développement
durable sur le devant de la scène. En 2014, la Commission plubliat une
communication intitulée « Pour une renaissance industrielle
européenne ». Le Plan d’Investissement pour l’Europe, dit ‘’Plan
Juncker’’, est lancé en 2015 pour relancer le secteur. Via le Fonds Européen
pour les investissements stratégiques (FEIS), le plan Juncker a pour vocation
de financer la réalisation de projets industriels au sein de l’UE. Sont
concernés de grands projets portant sur un secteur d’avenir :
infrastructures (transport, haut débit, énergie, numérique), utilisation plus
efficace des ressources et énergies renouvelables, etc. Sont aussi compris dans
le programme des projets innovants portés par de petites et moyennes
entreprises ou de taille intermédiaire.
« Le Plan Junker a l’ambition de faire retrouver à l’économie
européenne le chemin de la croissance », explique Slawomir Tokarski,
Directeur pour la direction générale du marché intérieur de l’industrie, de
l’entreprenariat et des PME, à la Commission européenne (DG GROW). « Il
comprend à la fois un soutien financier par le biais du FEIS, un certain nombre
de réformes réglementaires, ainsi qu’une assistance technique aux promoteurs
des projets ».
En mars, le gouvernement français a publié un premier bilan du Plan Juncker dans
l’hexagone : Avec 57 projets retenus, soit plus de quatre milliards d’euros de
dotation, la France est l’un des États qui en a le plus profité. Les
prêts auront permis, notamment : la création d’une usine moderne de
production de lait UHT en Normandie, de la première usine européenne de
recyclage et de refonte des déchets de titane aéronautique en Auvergne, la
modernisation d’une usine de production d’inox dans le Pas-de-Calais, la
construction de deux fermes éoliennes dans l’Aisne…
LA NORMALISATION,
LEVIER D’INNOVATION
La Fabrique de l’Industrie publiait récemment une étude sur l’investissement
industriel, dont les recherches indiquent que les investissements
réglementaires sont importants et contribuent à l’innovation. « Ils sont à
la fois une dépense contrainte et un moyen d’améliorer l’efficacité du
processus de production ». La réglementation REACH, portée par l’Union
Européenne, dans le domaine de l’industrie chimique, a été une incitation forte
à l’innovation, poussant les industriels à trouver de nouvelles molécules de
substitution à d’autres substances.
UN CONTEXTE
GÉOPOLITIQUE NOUVEAU
Alors que des actions semblent avoir été engagées, et montrer leurs premiers
effets, pourquoi les gouvernements français, allemand, italien, espagnol, et
même polonais, interpellent-ils aujourd’hui l’Union Européenne sur sa politique
industrielle ? Ces dernières années, la donne géopolitique a évolué :
d’une part les pays émergents ne sont plus seulement les ateliers du monde, et
d’autre part le spectre de la mondialisation a favorisé la poussée des partis
xénophobes en Europe, et relancé des mesures protectionnistes, aux États-Unis
comme ailleurs. « Je constate déjà une montée du protectionnisme avec un
renforcement des barrières douanières, tarifaires et non tarifaires. La Turquie
et la Russie se protègent, mais aussi beaucoup d’autres. L’Europe, elle, reste
très ouverte », confiait récemment au Monde Jean-Dominique Senard,
Président du groupe Michelin.
C’est ce à quoi les différents ministres européens, emmenés par Christophe
Sirugue, veulent répondre : « L’Union européenne n’a pas su protéger
durablement l’industrie contre des pratiques commerciales parfois injustes, ni
lui consacrer les investissements nécessaires face à des concurrents
internationaux toujours mieux financés, formés, organisés ». Ils
interpellent la Commission Européenne en proposant plusieurs axes de travail
afin d’assurer la compétitivité des entreprises.
Les Ministres signataires appellent l’UE à renforcer les instruments de défense
commerciale, promouvant une politique commerciale équilibrée fondée sur la
réciprocité et les bénéfices mutuels – réciprocité et équité qui doivent
également prévaloir sur les marchés publics. L’exemple des Etats-Unis, qui ont
obtenu du groupe Alstom que leurs futurs trains à grande vitesse soient
construits sur place est souvent cité en exemple par les gouvernants, qui
pressent l’Europe de mettre sur pied un « Buy European Act », un
règlement qui soutiendrait les entreprises européennes pour les appels d’offre
publics. Lors du dernier Conseil Compétitivité de Bruxelles, Etienne Schneider,
Vice Premier Ministre et Ministre de l’Économie du Luxembourg, a été jusqu’à
inviter la Commission Européenne à examiner de près les mesures
protectionnistes pratiquées par la Chine et les États-Unis.
Le positionnement de la DG GROW est plus nuancé. « La Commission croît que
l’Union Européenne doit évaluer régulièrement si elle a les moyens nécessaires
pour répondre aux défis, toujours mouvants, de la globalisation. Nous avons
besoin de répondre aux préoccupations légitimes de ceux qui en ont été exclus
et nous devons nous assurer que nos compétiteurs respectent les règles du jeu »,
répond Slawomir Tokarski à l’évocation d’un Buy European Act. « La
réciprocité d’accès aux marchés est un élément clé des négociations
commerciales auxquelles l’UE participe, avec l’objectif d’ouvrir de nouveaux
marchés aux investisseurs européens et de faire en sorte que les différents
acteurs soient sur un pied d’égalité ». Cela n’est pas sans rappeler
l’Europe qui protège dont parle Emmanuel Macron. « Ses idées méritent
d’être discutées », ajoute t-il.
MACRON DANS LA
CONTINUITÉ
Le Président de la République a un autre credo : faire monter en gamme
l’industrie française pour mieux exporter. Cette recommandation a également été
au cœur de son programme économique pendant la campagne. A ses yeux, la
désindustrialisation de la France n’est pas causée par la désindustrialisation
en tant que telle. Les causes sont endogènes : « Nos
dysfonctionnements économiques et sociaux ont conspiré contre les secteurs de
notre économie exposés à la concurrence internationale », pouvait-on lire
dans son programme. Il dénonce le « positionnement qualité-prix
insuffisant » de l’industrie française, et identifie trois causes : le
déficit d’investissement productif, le déficit d’innovation, et le déficit de
formation, d’autant plus critique que le virage numérique créé une demande très
forte en profils qualifiés.
Les Ministres de l’UE menés par Christophe Sirugue ne disent pas autre
chose : pour d’échapper au fatalisme du déclin industriel ou au repli,
l’UE doit accompagner la modernisation de l’outil productif, la numérisation de
l’économie, soutenir l’innovation.
DES HOMMES, DES
TERRITOIRES ET DES TECHNOLOGIES
Investir est-il suffisant ? En mai, la Fabrique de l’Industrie publiait
une synthèse sur le « mal-investissement » français. « Son
niveau y est particulièrement élevé mais il ne s’est pas traduit par le
dynamisme économique qu’il aurait pu théoriquement générer », peut-on
lire. Pourquoi ? Les participants au récent European Industry Day organisé par l’UE esquissent une
réponse : « Il est tout autant nécessaire de mettre en place des
politiques sociales et éducatives solides, de mettre l’innovation et la
technologie au cœur de l’économie, et de s’associer aux régions », rapporte
Slawomir Tokarski. « Il est nécessaire de requalifier et d’améliorer les
compétences afin d’éviter l’accroissement des inégalités sociales ; de
confier des responsabilités aux régions ; de propager l’innovation
technologique dans tous les secteurs économiques ».
En d’autres termes, c’est également ce qu’exliquaient les principaux acteurs de
Bergame pendant la conférence Réindustrialisation de l’Europe organisée par le
Comité Économique et Social Européen : les échanges entre le public et le
privé, la prise en compte de l’immigration et de l’esprit d’entreprise chez les
femmes, les enjeux liés au changement climatique et aux émissions de gaz à
effet de serre, l’importance de l’innovation et d’une industrie 4.0., ont été
autant d’éléments ayant participé au redressement de la ville.
« Les jeunes générations portent un regard plus positif sur l’industrie.
Ils n’y voient plus un lieu de travail rude et dangereux, sans intérêt voire
sans lendemain », explique Vincent Charlet, qui rencontre beaucoup
d’étudiants à la Fabrique de l’Industrie dont il est le Directeur. « Les
jeunes diplômés ont réalisé que les conditions de travail y sont accueillantes
et sécurisées ; ils ont surtout intégré cette idée que l’industrie est un
lieu d’innovation, un lieu d’initiative où s’incarne très concrètement une
certaine idée du progrès ». Néanmoins, ce déficit d’image impacte la
croissance. « Dans certains métiers ou territoires, la pénurie de main
d’œuvre demeure à un niveau élevé et freine le développement des
entreprises ». L’investissement est sans conteste un levier, mais l’humain
est aussi un enjeu majeur du dossier.
« MAKE IN INDIA »
En 2014, le Premier Ministre indien, Narendra Modi, a lancé
le programme « Make in India » afin d’encourager les multinationales
comme les entreprises nationales à produire en Inde. Cette initiative doit
permettre de créer des emplois dans un pays où plus de 10 millions de personnes
arrivent sur le marché du travail chaque année, et d’assurer la production
locale de biens manufacturiers dont les importations augmentent à mesure
qu’émerge une nouvelle classe moyenne. L’objectif du plan : faire passer
la part du manufacturier dans le PIB de 17 à 25% à 10 ans.
Comment ? En augmentant le seuil légal de la part des investissements
étrangers par secteur d’activité, en améliorant les infrastructures et
notamment les liaisons entre les villes, en développant les villes
intelligentes.
Pour le moment, l’impact sur les principaux indicateurs économiques semble
limité. Dans le classement de la Banque Mondiale sur la facilité à faire des
affaires, l’Inde passait de la 134ème place en 2015 à la 130ème
cette année, sans que les investissements étrangers, selon la CNUCED, ne
progressent significativement. Après le lancement du programme, de nombreuses
entreprises, notamment dans le domaine de l’électronique – Samsung, Hitachi,
Huawei – avaient annoncé la création de nouvelles chaines de production dans le
pays. Mais l’Inde doit aller plus loin si elle veut attirer durablement les
investisseurs étrangers. C’est tout le sens de la dernière mesure en date, entrée
en vigueur le premier juillet : une TVA unique qui doit faire de l’Inde un
marché fiscal plus simple.
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