Le recueil des données accidentologiques, un incontournable
Nous sommes en 2012. Le groupe Decathlon partage avec le Comité stratégique (CoS) Biens de consommation, sports et loisirs une étude approfondie sur le renforcement de la sécurité des consommateurs et des entreprises par la création d’une base de données européenne relative à la traumatologie. En 2018, en dépit de la mobilisation des différents acteurs, cette base n’existe toujours pas. Retour sur six ans de réflexions et d’actions.
L’étude de Decathlon, portée par l’équipe juridique du groupe, met en évidence certaines failles dans les règles de fonctionnement du marché intérieur, parmi lesquelles le maintien d’entraves nationales, les difficultés à identifier et prioritiser les besoins réglementaires, l’application parfois divergente des exigences européennes, une gestion parfois désordonnée des situations de crise. Le groupe y voit une seule réponse efficace : la mise en place d’une base de données européenne relative aux accidents impliquant des produits de grande consommation, accompagnée d’une politique de traitement de ces données.
Une telle base pourrait être exploitée par les autorités réglementaires afin d’évaluer la pertinence des règles, par les normalisateurs qui pourraient eux aussi mieux évaluer les besoins normatifs, par les autorités de surveillance des marchés afin d’identifier plus facilement les produits dangereux, par les organismes de défense des consommateurs et les consommateurs eux-mêmes, par les laboratoires de R&D et les industriels eux-mêmes.
Le CoS s’empare du sujet
Ayant noté la demande initiale de Decathlon, le CoS s’accorde, dès 2012, sur la nécessité d’organiser un système de partage des données accidentologiques, sous la forme d’un portail informatique de partage des données, sur une base volontaire, accessible a minima aux autorités compétentes et aux experts en normalisation. « Un sujet capital », relève Grégory Berthou, Rapporteur du CoS, « car le premier de nos cinq axes stratégiques est bel et bien de garantir la sécurité des produits et des services en améliorant les données exploitables par les experts en normalisation ». Le Cos demande donc alors au Comité de coordination et de pilotage de normalisation de porter, au nom du système français de normalisation, cette requête auprès des autorités compétentes.
Différentes initiatives sont passées au crible par le CoS, comme celle de l’Association médecins de montagne et de son réseau d’épidémiologie. Les exemples étudiés mettent en évidence l’importance des données sur les accidents pour pouvoir remonter jusqu’à leurs causes. « Le coût d’une base de données globale serait contrebalancé par les économies générées en termes de dépense de santé », explique alors Stéphane Jock, juriste chez Decathlon, à l’origine de l’étude.
En 2013, le Comité de coordination et de pilotage de la normalisation (CCPN) sollicite le Délégué interministériel aux normes sur la question de l’accès aux données d’accidentologie. Il lui est répondu que l’organisation d’un accès à de telles données n’est pas envisageable sur un plan national et que le CCPN devrait rechercher une solution avec les autorités européennes, déjà saisies par l’ANEC. En effet, en parallèle de la démarche française, l’ANEC, voix des consommateurs européens dans la normalisation, avait formulé une demande similaire auprès du CEN/CENELEC, suite à une réunion européenne du réseau de sécurité des consommateurs (CSN).
Il se trouve qu’au même moment, la Commission européenne révise la Directive sur la sécurité générale des produits et publie un ‘‘Paquet sécurité des produits et surveillance des produits dans l’Union européenne’’ qui comprend notamment un plan d’action pluriannuel sur la surveillance des produits dans l’UE. En conséquence de quoi, en 2014 la Commission mène une enquête sur les systèmes nationaux de collecte de données accidentologiques au sein de l’UE, visant à évaluer le rapport coût-avantage d’une base de données européenne sur les accidents et blessures (BDAB). « Dans la proposition de règlement, il était prévu qu’on mette en place un système de base de données paneuropéenne des blessures », résume aujourd’hui Grégory Berthou. « Le paquet a été adopté par le Parlement, mais il n’a toujours pas été ratifié par le Conseil européen car certains Etats membres sont hostiles à l’article 7 du texte ». L’article 7 ne concerne pas la base de données mais la mention d’indication d’origine des produits – Un autre débat donc, mais de ce fait le projet de base de données est au point mort.
La pertinence d’une base européenne ?
Certaines entreprises françaises poussent auprès de la Commission afin de débloquer le dossier. La société de briquets BIC, notamment, membre du CoS, est toujours active à Bruxelles sur le sujet. D’autres ont un peu baissé les bras, le tempo, long, du régulateur, n’épousant pas celui de l’innovation. « Depuis que nous avons partagé les résultats de notre étude auprès d’AFNOR nous n’avons pas entrepris de nouvelles démarches afin de récolter des données en accidentologie ou traumatologie », explique Stéphane Jock. « Nous nous basons désormais sur les retours que les clients nous font sur notre portail internet ».
Dans le fond, est-il indispensable de disposer d’une base européenne ? « Exploiter des données transnationales n’est pas chose aisée », commente Murielle Bouin, Vice-présidente de Calyxis, un centre de ressources dédié à la prévention des risques à la personne. « Il est très difficile de consolider les données, les uns et les autres n’ont pas les mêmes façons de compter, les mêmes cultures, les mêmes services d’urgence, et donc les mêmes recensements ». Au Royaume-Uni, par exemple, les pompiers ne sont chargés que des incendies et en aucun cas de secours à la personne.
C’est bien ce qui semble avoir eu raison du Système Européen de Surveillance des Accidents (ELHASS). Ce réseau, initié par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie française, permettait de recenser les décès et blessures causés par les accidents de la vie courante. « Le système s’est arrêté parce qu’on ne comptait pas nos accidents de la même façon et tous les pays ne disposaient pas des mêmes ressources », rappelle Murielle Bouin.
Faire autrement pour faire face au besoin
Les besoins sont pourtant bien là. Dans l’ameublement, on souligne que le manque de données accidentologiques pénalisent les travaux de normalisation, et peuvent mettre en péril la sécurité des utilisateurs de mobilier. Dans le cas des jouets, les données statistiques sur la fréquence des accidents permettraient de prioritiser les actions correctives à apporter sans céder à la pression médiatique. Dans le domaine des piscines, les professionnels déplorent que les enquêtes de l’Institut national de veille sanitaire manquent de précision, ne permettant pas d’identifier les véritables causes des noyades. La listes est longue des secteurs intéressés par le recueil des données accidentologiques. Certains secteurs, en attendant, s’organisent.
Le Syndicat national des espaces de loisirs, d’attraction et culturels (SNELAC) a ainsi mis en place un système de remontées des accidents pour l’ensemble de la profession. « Les adhérents font des retours d’expérience au syndicat après chaque incident », explique Grégory Berthou, « et tous les adhérents reçoivent ces informations ». Accompagnées d’un arbre des causes, ces rapports permettent ensuite aux différents membres de se tourner vers les fournisseurs avec des cahiers des charges argumentés. « Grâce à ce recueil de données, la relation clients/fournisseurs est beaucoup plus constructive ». En effet, sur la base d’informations objectivées, le fabriquant met rapidement en place des actions correctives, dans une dynamique d’amélioration continue, sans remettre en cause les injonctions du client. « Un relationnel exemplaire, ajoute Grégory Berthou, que le syndicat essaie également de développer auprès des autorités de contrôle ». Une initiative sectorielle modeste au regard de l’ambition européenne, mais une source d’inspiration, peut-être, pour les entreprises dans l’expectative.S
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