Au Printemps 2018, la Commission européenne proposait un New Deal destiné à mieux protéger le consommateur européen, notamment contre la différence de qualité des produits observée entre les pays de l’Union, une pratique commerciale dénoncée depuis plusieurs années par les parlementaires d’Europe centrale et orientale. Depuis, la Communauté européenne a continué à faire avancer le dossier, suscitant des réactions mitigées de la part des acteurs concernés.
Dans la foulée de l’Etat de l’Union prononcé en septembre 2017 par Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne, dans lequel il dénonçait les doubles niveaux de qualité, un guide a été publié afin de permettre aux Etats confrontés à cette problématique de mieux se saisir de la législation européenne. Le document énumère et explique les exigences pertinentes de la loi de l’UE en matière de denrées alimentaires et de protection des consommateurs. Ce mémo de neuf pages rappelle donc la législation en vigueur et propose une série de questions dont le séquençage doit permettre de déterminer si oui ou non la Directive 2005/29/UE sur les pratiques commerciales déloyales (dite Directive UCPD – Unfair business-to-consumer Commercial Practices) est potentiellement violée.
Outre ce guide, la Commission a conçu une méthodologie visant à améliorer les tests comparatifs réalisés sur les denrées alimentaires. Par ailleurs, la Nouvelle Donne pour la protection des consommateurs propose d’actualiser la Directive UCPD afin de prendre en compte cette question de qualité duale des produits. Deux voies parallèles et complémentaires sont donc empruntées par l’UE pour outiller les consommateurs et les Etats membres : la voie de l’expertise scientifique d’une part, la voie législative d’autre part.
En mars 2018, la Commission a lancé un Centre de connaissances sur la fraude alimentaire et la qualité des denrées alimentaires, opéré par le Centre commun de Recherche (CCR). Une équipe transnationale a été mise sur pied afin de développer une méthodologie harmonisée de tests. « Nous avons constitué un réseau d’experts dont les membres ont été désigné par les Etats membres », explique Franz Ulberth, responsable de la détection et de la prévention de la fraude au sein du CCR. « La France, par exemple, a nommé la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour la représenter ». L’Allemagne quant à elle a choisi le Max Rubner Institut, institut fédéral de diététique et de l’alimentation, cependant que l’Espagne a envoyé des représentants du Ministère de la santé, tout comme les Pays-Bas. Les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) sont surreprésentés dans cette instance car ce sont ces pays qui ont lancé l’alerte et mené à bien le plus de tests comparatifs. Ces pays ont donc impliqué à la fois du personnel ministériel et des représentants des associations de consommateurs, des laboratoires, des autorités de contrôle sanitaire, les uns et les autres partageant leurs recherches et leur méthodologie. La Bulgarie, la Croatie, la République tchèque, la Hongrie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie ont partagé en outre les résultats des tests effectués sur leurs marchés en 2016 et 2017.
Rapidement, « Le Centre commun de recherche de la Commission européenne a mis au point une procédure harmonisée destinée à évaluer de manière objective les différences perçues au niveau de la qualité des produits », a expliqué Tibor Navracsis, commissaire chargé de l’éducation, de la culture, de la jeunesse et du sport, responsable du Centre commun de recherche, quand le document a été publié, le 14 juin 2018. « C’est un excellent exemple de la façon dont les travaux scientifiques de premier ordre peuvent bénéficier directement aux citoyens ».
Quatre grandes phases ont été identifiées dans le cadre du processus : la sélection des produits, la composition de l’échantillon, le test et l’analyse des produits, l’interprétation des données et leur vulgarisation. Pour chacune de ces phases, la CCR a émis des recommandations, sur la base de six grands principes directeurs : Etre transparent ; respecter les quatre phases d’étude précitées ; ne comparer que ce qui est comparable ; sélectionner les échantillons sur une base scientifique ; inclure tous les acteurs dans un but de consensus (industrie agroalimentaire, associations de consommateurs, pouvoirs publics) ; choisir les produits en toute impartialité en se fondant uniquement sur les parts de marché des différentes marques.
Le CCR, avec le soutien des Etats membres, a mené en novembre et décembre 2018 une vaste campagne à travers l’UE afin de collecter des données sur la composition de différents produits alimentaires. « Les données sont en cours d’analyse », indique Franz Ulberth, « les résultats de l’enquête devraient être rendus publics dans le courant du printemps ». Les représentants des PECO ont joué le jeu et attendent désormais les résultats de cette étude de grande ampleur à laquelle un million d’euros a été affecté. « Nous avions mené nos propres tests en 2017 », explique ainsi Jasmina Bevc Bahar, chargée des relations publiques de ZPS, association de consommateurs slovène. « Nous avons participé au recueil des données organisé par le JRC en novembre dernier et nous attendons désormais les résultats » – Même son de cloche chez HAH, l’association Croate.
Cette méthodologie a également été saluée par FoodDrinkEurope, fédération européenne de l’industrie agroalimentaire (IAA), qui souligne la notion d’inclusion des IAA qui q été inscrite au chapitre des recommandations. FoodDrinkEurope met l’accent sur la complexité d’une définition pour la qualité alimentaire : « La méthodologie développée par le CCR reconnaît que la qualité est une concept complexe et multifactoriel influencé par des facteurs situationnels et contextuels, et que les différences organoleptiques ou de composition des produits ne se traduit pas forcément par un niveau de qualité différent » – Une subtilité que le législateur a également cherché à retranscrire dans le projet d’amendement de la Directive 2005/29/UE.
Le 21 janvier 2019, après plusieurs mois de consultations et d’enquêtes, le Parlement a adopté les amendements proposés par la Commission. La nouvelle Directive prévoit notamment d’ajouter à la liste noire des pratiques commerciales déloyales les activités de marketing qui présentent des produits commercialisés sous la même marque mais qui présentent des différences en termes d’ingrédients ou de caractéristiques sensorielles. Les parlementaires ont en effet considéré que donner l’impression au consommateur qu’un produit est apparemment identique par son apparence alors que ça n’est pas le cas, est une pratique trompeuse. Cependant, il est bien indiqué également que des produits peuvent différer « en raison de préférences régionales claires et démontrables des consommateurs, de l’approvisionnement en ingrédients locaux ou d’exigences législatives nationales – distinction qui doit être clairement indiquée de manière à être immédiatement visible par le consommateur ».
FoodDrinkEurope déchante. « L’inclusion du concept de qualité différenciée des produits dans l’annexe I de la directive sur les pratiques commerciales déloyales – qui interdit la différenciation des produits ‘’en toutes circonstances’’ – ne permet pas une évaluation au cas par cas et peut avoir des conséquences substantielles pour les industriels, de facto ou de jure, ce qui obligera les marques à avoir exactement les mêmes recettes partout en Europe », réagit le lobby de l’industrie agroalimentaire de l’UE dans un communiqué. « Cela limiterait l’innovation des produits et le choix des consommateurs, augmenterait les prix à la consommation sur certains marchés et affecterait négativement l’offre agricole locale sur ces marchés ». FoodDrinkEurope insiste une fois encore sur la différence de palais des consommateurs européens.
Les Croates préfèreraient l’adjonction de polyphosphates à leurs saucisses, les tchèques plus d’édulcorants que de sucre dans leurs sodas, les hongrois moins de café lyophilisé dans leurs sticks individuels ? Les résultats des tests harmonisés, menés à grande échelle au sein de l’UE, sont en tous cas attendus avec impatience.
Stéphanie Nedjar
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