Les Parcs nationaux américains ont été créés pour préserver des paysages spectaculaires et les faire découvrir au plus grand nombre. Mais comment concilier protection des écosystèmes et tourisme de masse ? En développant des programmes de gestion environnementale. Dès les années 1980, le Service des parcs nationaux s’attelle à la tâche, en avance sur les standards internationaux qui seront développés au cours de la décennie suivante. Pour autant, dans les années 2000, les parcs font d’ISO 14001 une référence incontestée. Mais de nouvelles menacent planent sur les parcs, et les programmes de gestion environnementale pourraient ne plus suffire.
Yosemite, Yellowstone, Grand Canyon… Des parcs naturels dont les noms sont connus de tous, autant de symboles du mythe américain et des grands espaces. Et pour cause, ces territoires sont ceux de tous les superlatifs.
Gigantisme
Yellowstone a été le premier parc national du monde, en 1872. Sa surface : 8800 km2. Yosémite : 3080 km2. Pour mémoire, le parc des Ecrins, en France, fait 918 km2, le parc de la Vanoise en fait 528, et le parc du Mercantour 685. Les parcs nationaux et régionaux de l’hexagone englobent des espaces ruraux et des habitations, les parcs américains sont souvent isolés, entourés de forêts, de déserts. Prenons encore l’exemple de Yellowstone. Ce parc est à cheval entre le Wyoming, le Montana, l’Idaho. Au centre de l’Idaho, 15 000 km2 de no-man ‘s-land. Ni route, ni habitation, ni autre forme de présence humaine. Au nord-est de l’Idaho : le Montana, qui peut être survolé en avion de tourisme pendant trois heures avant d’y entrevoir trace humaine. Et pour cause, si la superficie du Montana correspond à peu près à celle de l’Allemagne, on y compte seulement un million d’habitants. Au sud-est de l’Idaho : le Wyoming – Une superficie comparable à celle de la France, mais seulement 560 000 habitants.
Ces quelques comparaisons permettent de comprendre pourquoi il était indispensable de construire des infrastructures conséquentes à l’intérieur des parcs nationaux américains. Des routes et des sentiers pédestres ont traversé les espaces sauvages, des parkings, des hôtels, des campings, ont été édifiés.
En parallèle, depuis leur création, la fréquentation des parcs n’a cessé d’augmenter, presque de manière exponentielle. 5 000 visiteurs à Yosemite en 1906, 100 000 en 1922, 1 million en 1954, 2 millions en 1969, 3 millions en 1991, 5 millions en 2016 ! La fréquentation des autres parcs épouse la même courbe, avec un record pour le Grand Canyon, dont plus de six millions de visiteurs ont arpenté les sentiers en 2018.
De la protection à la gestion
Pour faire face à cette affluence, et à ses conséquences sur la faune et la flore, les parcs ont mis au point dans les années 1980 des outils de gestion environnementale, basés sur le zonage, d’une part, le recueil et l’interprétation de données d’autre part. « Le zonage consiste à distinguer dans un parc différents types de territoires : les aires de services, les routes, les chemins d’accès, les espaces naturels protégés. Chaque zone est ensuite gérée en fonction des objectifs visés », explique Christiane Gachelin-Ribault, chercheur à l’Institut de Géographie de l’Université de Lille. « Et l’interprétation est une éducation au milieu naturel ». C’est dans les années 1980 qu’on restaure plusieurs meutes de loups à Yosemite, qu’on étudie les effets bénéfiques des feux à Yellowstone, qu’on mesure l’érosion des sentiers ou que l’on compte les oiseaux migrateurs au Parc de Forillon au Québec – Car on observe au Canada les mêmes tendances qu’aux Etats-Unis : en 1988, une loi datant de 1930 y est modifiée afin de rendre les plans de gestion obligatoires dans les parcs nationaux ; ceux-ci devront être déposés devant le parlement, examinés tous les cinq ans et présentés au public.
Recueil de données sur faune et la flore, recensement des populations, études d’impacts, actions correctives : La voie empruntée par les Parcs nationaux pour limiter les dégradations, renforcer la surveillance, assurer une gestion plus rigoureuse du milieu naturel alors qu’ils étaient en train de devenir victimes de leur succès, les a, sans nul doute, préparé à la démarche de l’ISO.
Une culture Iso compatible
En 1999, alors que la première version de la norme ISO 14001 a été publiée trois ans auparavant, le National Park Service a mis en place un programme destiné à sensibiliser les concessionnaires opérant dans les Parcs au management environnemental. La majeure partie des activités des Parcs naturels américains étant sous-traitée à des compagnies privées, il devenait en effet important de ne plus limiter la démarche aux seuls rangers. En 2000, ce Concession Environmental Management Program (CoEMP) a obligé les concessionnaires à incorporer des systèmes de management environnemental aux contrats établis avec les Parcs. 500 concessionnaires, 25000 employés, ont été concernés. « La plupart des entreprises ont développé leurs programmes sur la base de l’ISO 14001 », explique Tina Garner, Responsable Accréditations au bureau des accréditations de l’American National Standards Institute (ANSI). « Un grand nombre de concessionnaires ont obtenu la certification ISO 14001 afin de montrer leur engagement en matière de protection de la nature et de gestion environnementale ».
Pour renforcer la culture de la gestion environnementale, le National Park Service met au point des boîtes à outils, guides et recommandations à l’usage des parcs et de leurs prestataires. Au début des années 2000, la « boîte à outils du système de management environnementale » comprend huit ‘‘éléments’’ qui ne sont pas sans rappeler les 18 ‘‘exigences’’ de la norme ISO 14001, agencés différemment : L’engagement environnemental ; l’impact environnemental des activités du parc ; les objectifs ; les rôles et responsabilités ; le contrôle des données et le reporting ; la communication des résultats ; la formation ; le monitoring et les mesures correctives.
En 2009, le National Park Service publie un guide qui fait cette fois-ci explicitement référence à la norme. Qu’est un système de management environnemental, interroge le guide ? « Un outil qui (…) reflète les principes de qualité communément acceptés et apporte de la rigueur à des programmes existants pour en assurer l’amélioration continue, comme l’est le standard ISO 14001:2004(E) ».
Des résultats tangibles
En 2002, le Secrétariat d’Etat à l’Intérieur (DoI), ministère de tutelle du National Park Service, lance les Environmental Achievement Awards, qui récompenseront chaque année les meilleures initiatives et programmes menés dans les Parcs.
Pour mémoire, c’est à la même époque qu’en Europe les parcs naturels commencent à s’intéresser à cette certification. Le premier parc naturel à recevoir la certification ISO 14001 de ce côté-ci de l’Atlantique est le Parc national des Dolomites, dans le nord de l’Italie, en juillet 2003.
En 2002, donc, le prix du DoI est remis à l’entreprise Delaware North Parks Services (DNPS) pour son ‘’GreenPath’’, nom du programme de gestion environnementale qu’elle a développé, et mis en application à Yosemite, Sequoia & Kings Canyon, et Grand Canyon. « DNPS a incorporé à ses décisions des considérations environnementales, mis en place des objectifs de performance, effectivement réduit son empreinte, anticipé des problématiques environnementales et mis en place des actions préventives, alloué des ressources à ce programme », souligne alors le DoI. DNPS devient de fait le premier concessionnaire à obtenir la certification ISO 14001.
Depuis, chaque année ou presque les Environmenal Achievement Awards ont récompensé des concessionnaires ayant obtenu cette certification.
En 2003, l’institution récompense le Lodge Signal Mountain, complexe hôtelier situé à Grand Teton National Park, et Xanterra Parks & Resorts, qui opère au Mont Rushmore, pour leurs programmes environnementaux certifiés ISO 14001 – Concrètement cela se traduit par des initiatives alors novatrices, remplacement des ampoules à incandescence, installation de capteurs de présence, produits ménagers biodégradables, produits d’hygiène en vrac, peintures sans solvants, compost, etc. En 2006, Dyon/Aramark, gestionnaire de la flotte de bus du Denali National Park, est récompensé pour son programme de gestion environnementale ‘‘PlanetEVERGreen’’, certifié ISO 14001, qui a permis de réduire de 70% les émissions de monoxyde de carbone des véhicules. En 2014, Delaware North sera à nouveau récompensé, pour la mise en œuvre d’un programme certifié ISO 14001, à Yellowstone cette fois-ci… La liste est longue et les programmes de ce type se sont progressivement généralisés.
Afin de pouvoir mesurer les progrès réalisés de façon globale, le National Parks Service a lancé en 2012 son Green Parks Plan, établissant des objectifs de performance tangible. Le plan a été revu en 2016, à l’occasion du centenaire de l’institution. « Dix ambitions stratégiques portées par des objectifs de performance tangibles », expliquait Jonathan B. Jarvis, alors Directeur de l’agence.
Quelles sont ces dix ambitions ? Améliorer continuellement la performance environnementale ; réduire les émissions de gaz à effet de serre ; améliorer la performance énergétique des sites et développer les énergies renouvelables ; rationaliser l’utilisation de l’eau ; verdir les déplacements ; acheter des produits verts et améliorer la gestion des déchets ; limiter la pollution lumineuse et sonore des espaces naturels ; renforcer les partenariats ; sensibiliser les 300 millions de visiteurs annuels et autres partenaires aux impacts du changement climatique sur les parcs.
Des menaces exogènes
L’Institut des parcs, des peuples et de la biodiversité de L’Université de Californie, Berkeley, collabore avec le NPS depuis les origines, ou presque, et a, au fil du temps, orienté la politique des parcs en les poussant régulièrement à des changements de paradigme. Une étude menée par l’Institut en septembre 2018 a permis de prendre la mesure des effets du changement climatique sur les parcs. Entre 1895 et 2010, la température des 417 aires protégées du pays a augmenté de 1°C cependant que les précipitations ont baissé de 12%.
A Yosemite, la forêt subalpine a gagné les prairies d’altitude, plus fraîches, entraînant par la même occasion la migration des mammifères, désormais vivant 500 mètres plus haut que leur habitat de 1918. Au Parc des Séquoias, 20% des grands sapins et de 50 à 70% des grands pins sont morts pendant la sécheresse qui a touché la Californie de 2012 à 2016. A Joshua Tree, les jeunes générations d’arbres ne survivent plus dans la partie sud du parc. Dans le Parc naturel du Big Bend, au Texas, le niveau du Rio Grande est si bas qu’on l’appelle le Rio Sand… Les exemples ne manquent pas et les causes non plus. En Californie, l’Institut d’Etudes Géologiques des Etats-Unis, explique l’augmentation des feux de forêt par l’urbanisation des zones boisées, l’agriculture maraîchère gourmande en eau, le mauvais état du réseau électrique… Sans compter les choix politiques récents qui pourraient avoir une influence considérable sur ces espaces sauvages.
Alors comment gérer les ressources naturelles dans un climat changeant ? Les parcs se mettent au vert, nous l’avons vu. Ils impliquent désormais des visiteurs eux-mêmes. En 2016, la California Academy of Sciences et le National Geographic ont développé une application mobile, iNaturalist, qui leur permet de partager leurs observations de la faune et de la flore, aidant ainsi au recensement.
Mais la mobilisation de tous les acteurs et une gestion environnementale rigoureuse suffiront-elles à affronter les impacts du changement climatique ? Selon Tina Garner, Responsable Accréditations à l’ANSI, « la mise en place de systèmes de management environnemental au sein de parcs a permis d’améliorer de façon significative la protection des ressources nationales tout en permettant aux visiteurs de faire l’expérience de la beauté que chacun des parcs a à offrir ». Pour autant, ajoute t-elle, « les Parcs nationaux sont confrontés aux impacts négatifs du changement climatique et même si on peut encore en limiter les impacts, les Parcs nationaux ne peuvent pas agir seuls car les causes extérieures aux parcs dépassent de beaucoup les causes endogènes».
Stéphanie Nedjar
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