Les Français voudraient consommer local, tant pour des raisons économiques qu’éthiques, mais le manque de lisibilité des étiquettes rend la tâche ardue. La Direction générale des entreprises, qui a bien compris la nécessité de guider un consommateur qui ne sait plus à quel label se vouer, a demandé à l’AFNOR d’aider les professionnels en ce sens.
Selon une étude réalisée par le CREDOC en 2014, 50% des Français se déclaraient déjà privilégier le Made in France lors de leurs achats et 61% se disaient prêts à payer plus chers pour des produits Made in France. Cinq ans plus tard, une enquête de l’IFOP – l’institut de sondage ayant été mandaté par la Fédération Indépendante du Made in France (FIMIF) – estime que c’est même jusqu’ à 70% des Français qui se disent prêts à payer plus cher un produit Made in France.
Pour les uns c’est une question d’éthique – les conditions de travail des ouvriers, en Asie, notamment, est de plus en plus débattue depuis l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh – Pour les autres, c’est une question de patriotisme économique, relayée par les pouvoirs publics assez régulièrement,
Le patriotisme économique, une notion relayée de part et d’autre de l’échiquier politique. C’est Georges Marchais, candidat communiste qui aux élections présidentielles de 1981 lançait un « Produisons français ». C’est Marine Le Pen, coiffée d’un béret dans les allées du Salon Made in France (le MiF), présentant ses propositions sur le « protectionnisme intelligent ».
Les campagnes les plus marquantes ? Le consommateur se souvient peut-être de « Nos emplois sont nos emplettes », slogan scandé par Annie Duperey et Olivier de Kersauson en 1993 lors une campagne de publicité à l’initiative des Chambres de Commerce et de l’Industrie. Et il a en tête, plus récemment, cette célèbre Une du Parisien, sur laquelle Arnaud Montebourg, alors Ministre du Redressement productif, posait en marinière Armor Lux, arborait une montre Michel Herbelin et tenant dans ses bras un robot Moulinex !
Paradoxalement, la notion d’origine d’un produit n’est pas si évidente à établir. Il est par exemple impossible à Armor Lux de s’approvisionner en coton dans l’hexagone pour fabriquer sa désormais iconique marinière. Il en est de même pour le très médiatique Slip français. Si l’on se réfère au code des douanes communautaires, on peut établir qu’une marchandise est originaire de France « si sa dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, est effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d’une produit nouveau ou représentant un stade de fabrication important ». Par exemple, pour des produits textiles en coton, la mention Made in France sera possible si le coût de la fabrication réalisée en France excède 50% du prix au départ de l’usine [étrangère].
Pour autant, cette règle douanière ne s’applique pas nécessairement aux nombreux labels apposés aujourd’hui sur les produits manufacturés : ‘’Origine France garantie’’ (voir encadré), ‘’entreprise du patrimoine vivant’’, ‘’Produit de Bretagne’’, ‘’Made in Chamonix’’, autant d’allégations qui perdent le consommateur. En 2016, une étude réalisée par la FIMIF a montré que 97% des consommateurs souhaitent qu’un étiquetage précisant l’origine devrait être rendu obligatoire. Quand on leur demande si cet étiquetage leur permettrait de consommer davantage de produits Made in France, 9 sur 10 répondent par l’affirmative. Il sont plus de 6 sur 10 à déclarer que « cela les aiderait énormément ». Les consommateurs semblent accorder moins d’importance aux labels d’origine qu’à une étiquette factuelle, riche et transparente, qui indiquera par exemple l’adresse du site de production et l’origine des principaux composants utilisés.
La FIMIF dénonce même un ‘’Frenchwashing’’, ou ‘’francolavage’’, pratique consistant à faire croire au consommateur qu’un produit est Made in France alors qu’il ne l’est pas. Il peut y avoir, explique la Fédération, « fraude réelle au sens de la loi ou simplement une volonté évidente de créer de la confusion ».
En 2018, 90% des consommateurs voulaient que le marquage d’origine des produits soit obligatoire, alors même que l’Union Européenne est l’une des seules zones commerciales au monde où cette mention d’origine est facultative pour les produits non-alimentaires.
L’UE et les territoires
Le Ministère du Redressement productif a porté au niveau européen ce souhait de rendre obligatoire le marquage d’origine des produits. « Ca a été intégré au nouveau paquet ‘’Sécurité et surveillance des marchés’’ en cours d’adoption au Parlement européen mais les Etats membres ne se sont jamais mis d’accord sur cet article 7 légiférant sur l’indication d’origine des produits », explique Grégory Berthou, Responsable Développement Biens de consommation, Sports et Loisirs d’AFNOR. « Certains pays ne souhaitent pas qu’on s’aperçoive que la majorité de leurs produits sont fabriqués ailleurs », ajoute t-il. On pense en particulier à l’Allemagne et à l’image de marque du Made in Germany, à mettre en parallèle d’une production en provenance de pays d’Europe centrale et orientale. D’autres pays, comme la France et l’Italie, poussent à l’inverse en faveur de ce marquage, en particulier en faveur de leurs industries textiles respectives.
Le projet de résolution adopté au Parlement européen le 6 octobre 2015 n’ayant toujours pas débouché sur une nouvelle loi, le Comité aux affaires juridique du Parlement a commandé une étude au Service de Recherches du Parlement Européen, en vue d’une résolution à venir sur l’extension de la protection des indications géographiques aux items non agricoles. L’objectif de cette étude, publiée en novembre 2019 est de quantifier les coûts résultant du manque de législation européenne protégeant les indications géographiques (IG) des produits et analyser les bénéfices qui en résulteraient pour les citoyens, les entreprises et les Etats membres. Les conclusions des auteurs, Cecilia Navarra et Elodie Thirion, sont limpides : « Une protection des indications géographiques des produits non agricoles par l’UE aurait un impact positif sur le commerce, l’emploi et le développement rural ».
Concrètement, vingt ans après la mise en place d’un tel étiquetage, les exportations intra-communautaires connaîtraient une hausse comprise entre 4,9 et 6,6% (par rapport à 2018, année de référence), soit entre 37 et 50 milliards d’euros, dans les secteurs les plus concernés. L’emploi augmenterait entre 0,12 et 0,14 %, correspondant à la création de 284 000 à 338 000 emplois au sein de l’UE. L’impact sur le développement rural se matérialiserait par un soutien aux producteurs locaux haut de gamme, la diversification économique du monde rural, à la capacité des producteurs locaux à s’organiser collectivement.
Vin de Bordeaux, verre de Murano, jambon de Parme… Ces indications sont bien connues pour les produits alimentaires et les boissons, mais une indication géographique peut également souligner les qualités spécifiques d’un produit en raison d’une compétence humaine associée à une localité, notamment dans le domaine de l’artisanat, quand des ressources naturelles locales expliquent le développement d’un savoir-faire souvent multiséculaire incorporé aux traditions des communautés locales : le cristal de Bohême, le tartan écossais, le marbre de Carrare, la porcelaine de Saxe.
A l’origine, les indications étaient protégées par les législations nationales. Cependant, avec l’expansion rapide du commerce international à la fin du 19è siècle, les clauses relatives à la protection des IG ont été incorporées à différents traités internationaux relatifs à la protection des droits de propriété intellectuelle. Le TRIPS Agreement conclue en 1990 et entré en vigueur en 1995 a été le premier traité multilatéral à traiter des IG en tant que telles. Cet accord prévoit un standard minimum de protection pour les IG, et encore plus dans le domaine des vins et spiritueux. Par ailleurs, cet accord exige de l’Organisation Mondiale du Commerce et de ses membres de fournir les moyens légaux destinés à prévenir l’utilisation de GI qui tromperaient le public au regard de l’origine géographique des biens ou qui constitue un acte de concurrence déloyale. Pour le moment, au niveau européen, la protection des IG s’applique uniquement aux vins, spiritueux, vins aromatisés, produits agricoles et denrées alimentaires.
L’absence d’une protection harmonisée au niveau de l’EU conduit à une fragmentation dont les conséquences sont supportées par les consommateurs, les producteurs et les Etats membres, affectant l’économie européenne et spécialement le commerce, l’emploi, et le développement rural.
C’est là que la normalisation peut rendre service et c’est pourquoi, en 2018, la Direction générale des entreprises (DGE) a demandé à l’AFNOR de se pencher sur le sujet. Après avoir organisé une première rencontre exploratoire avec les principaux acteurs du dossier – DGE, DGGCRF, DGDDI, syndicats professionnels – l’Agence a bien compris les besoins des professionnels – Mais, témoigne Grégory Berthou, « nous nous sommes heurtés a une difficulté de taille : si nous lancions une norme nationale sur le sujet, notre initiative pourrait être perçue par la Commission européenne comme étant une mesure restrictive aux échanges ».
De ce fait, AFNOR a laissé de côté l’élaboration d’une norme volontaire et étudie aujourd’hui la mise au point d’un référenciel, dont pourraient s’emparer tous les organismes délivrant des labels sur l’origine des produits. Le guide pourrait porter sur les points suivants : définition des termes et des concepts, échelles des territoires concernés (local, régional, national), méthode de détermination de la valeur ajoutée. « Les labels pourront s’emparer de ce référenciel pour faire évoluer leurs cahiers des charges respectifs », explique Grégory Berthou. Prochaine étape ? « La balle est désormais dans le camp des professionnels. Il faudrait qu’un secteur spécifique nous demande d’agir et nous l’accompagnerions pour mettre en place ce premier référenciel ». Il pourrait s’agir du secteur textile, très mobilisé sur le Made in France, ou du secteur des jouets.
A l’heure, grave, où l’on se rend compte que même la production chinoise peut être à l’arrêt complet, la question d’une production relocalisée et de sa visibilité fait plus de sens que jamais.
Stéphanie Nedjar
Origine France Garantie
En 2010, Yves Jégo, alors vice-président du Parti Radical, est missionné par le Président de la République Nicolas Sarkozy pour réfléchir à la ‘’Marque France’’ : « En finir avec la mondialisation anonyme : la traçabilité au service des consommateurs et de l’emploi ». Dans la foulée, aux côtés d’Antoine Veil, il créé l’association Pro France. Après une première phase d’expérimentation en 2011, le label Origine France Garantie est lancé sur tout l’hexagone en 2012.
Pour obtenir ce label, deux caractéristiques sont simultanément nécessaires :
– Le produit doit prendre ses caractéristiques essentielles en France
– Au moins 50% de son prix de revient unitaire (PRU) est acquis en France. Le PRU est défini comme le prix du produit sorti d’usine, d’atelier ou d’exploitation.
Depuis 2014, AFNOR fait partie des organismes de certification pouvant délivrer ce label.
Pour certains industriels, l’argument du Made in France est factice. « Que faire quand les composants d’un produit proviennent de partout dans le monde ? », interrogeait en 2016 L’Union des Industries et des métiers de la Métallurgie.
Mais c’est peut-être justement parce que la division internationale du travail fait ressembler les produits électroménagers à des auberges espagnoles que la demande sociétale est de plus en plus forte. En 2018, 2000 gammes de produits avaient déjà été certifiées et 600 entreprises étaient engagées dans la démarche Origine France Garantie. Les premières demandes de renouvellement arrivent et 46% des consommateurs affirment avoir déjà remarqué la certification Origine France Garantie, ce petit macaron barré diagonalement d’un bandeau tricolore.
Stéphanie Nedjar
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