Le cacao, filière durable ?
Le Parlement européen a publié en juillet 2020 une étude sur la mise en œuvre et l’efficacité des labels éthiques dans le secteur du cacao en Afrique de l’Ouest. Un rapport sans concession qui dresse un portrait assez sombre des processus de certification en Côte d’Ivoire et au Ghana. La norme ISO 34101 sur le cacao durable saura t-elle changer la donne ? Pour l’instant on en est loin.
Près de 2 millions de tonnes de cacao sont consommés chaque année en Europe, plus de 700 000 tonnes aux Etats-Unis. Les confiseurs et chocolatiers occidentaux s’approvisionnent au sud. Les deux principaux producteurs : la Côte d’Ivoire – 2 millions de tonnes – et le Ghana – 900 000 tonnes. La production de cacao s’est intensifiée en Côte d’Ivoire depuis le début des années 2000, mais la production reste très morcelée puisque le pays compte aujourd’hui pas moins de 900 000 planteurs.
‘‘Transparence’’, ‘‘traçabilité’’, ‘‘standards durables’’, ‘‘pratiques agricoles responsables’’, ‘‘zéro déforestation’’, sont des termes qui ont émergé en connexion avec le processus de certification du secteur. Est-ce que la réalité ivoirienne et ghanéenne justifie l’utilisation de tels termes ? C’est ce a quoi tentent de répondre les deux auteurs, Uribe Leitz et François Ruf, du CIRAD. Ils ont complété leur analyse de la littérature existante par un grand nombre d’entretiens avec les acteurs de la filière et sont arrivés à la conclusion que les études passées étaient souvent biaisées, les agriculteurs ayant confié ce qu’on attendait d’eux, dressant le tableau d’un modèle vertueux. En 2017, 330 000 exploitations étaient certifiées Utz, label qui met en avant un cacao éthique, sans travail des enfants. 100 000 étaient certifiées Rainforest Alliance, label qui garantit au consommateur une protection de l’environnement et de la forêt tropicale. 56 000 étaient certifiées FairTrade, label qui vise un commerce dit équitable, œuvrant pour une vie meilleure dans les communautés locales. Plus de la moitié des exploitations ont donc reçu l’un de ces labels. Pourtant, « des questions sérieuses émergent autour de la déforestation, du travail des enfants, du versement des primes. L’investissement social est minimal et la perception des consommateurs diverge de la réalité ». Pourquoi un tel hiatus ?
Les coopératives au cœur du dispositif
Vers 2000, les géants du broyage et du négoce se sont installés sur place, grâce à la libéralisation du marché. Très vite, ils ont incité à la création de coopératives afin de créer des monopoles d’approvisionnement. Ils ont également encouragé les coopératives à accéder aux certifications qu’ils ont promues, finançant le coût d’accès aux labels dits équitables en échange de l’achat de leur cacao. Le rythme auquel les coopératives ont obtenu une telle certification a augmenté de façon quasi exponentielle dans les années 2000-2010, ce qui tient principalement aux initiatives des pisteurs – intermédiaires entre les cultivateurs et les coopératives – qui ont converti leur affaire en coopérative, pour pouvoir bénéficier des primes de certification. Les paysans et les communautés rurales ne perçoivent en réalité qu’une petite partie de ces primes. En cause : la gouvernance des coopératives. En effet, à leur présidence, on trouve souvent d’anciens pisteurs souvent âgés et illettrés. Mais les administrateurs sont mis en place par les négociants, les mêmes qui commanditent les organismes de certification. Les fermes visitées sont sélectionnées à l’avance par la coopérative, les dés sont pipés.
Par ailleurs, la coopérative devrait jouer un rôle important de formation de ses adhérents afin de leur faire comprendre quels sont les critères de labellisation et comment mettre en œuvre les bonnes pratiques. Mais dans les faits, la majeure partie du travail de transmission du savoir lié à la certification est laissé à un ‘‘paysan relai’’, intervenant bien démuni, peu qualifié et mal payé pour cette mission, et qui a bien autre chose à faire sur sa propre plantation.
En conséquence de quoi les coopératives sont souvent perçues par les planteurs comme de simples collecteurs de denrées qui offrent peu de services à leurs adhérents. Et la plupart des planteurs, de fait, ne comprend pas grand-chose à la certification et n’ont aucun moyen de vérifier quels sont les revenus issus de la certification.
Une distribution inefficace des primes
Fairtrade, par exemple, offre 200 dollars par tonne, somme versée par les acheteurs aux coopératives, à ajouter au prix de la matière première. 25% de la somme sera retenue par la coopérative pour ses frais de gestion, 25% servira à l’achat d’intrants, 25% ira au planteur, 25% à des projets sociaux. Dans ce contexte, qu’est-il fait de ces sommes ?
En matière de travail des enfants, les sommes allouées sont souvent trop faibles pour déboucher sur la création d’écoles ou l’amélioration des routes permettant aux jeunes de s’y rendre. Les programmes se résument souvent à l’impression et à la distribution d’affiches et de brochures de sensibilisation. Là encore, les planteurs relais ne sont pas les ambassadeurs adaptés au défi.
Face à la déforestation, les budgets ne semblent pas non plus dédier de budget. Tout au plus lancent-elles des auto-évaluations. Depuis quelques temps, les exportateurs et les agences de certification ont tendance à retirer leur label aux coopératives qui sont tout près d’une forêt protégée. En conséquence de quoi les dites coopératives s’allient à d’autres coopératives plus éloignées !
Quant à la mise en œuvre de bonnes pratiques agricoles, les exigences des labels sont parfois en tel décalage avec les possibilités locales que les agences de certification ferment les yeux. Par exemple, on impose que les graines de cacao sèchent sur des racks en raphia alors que les palmiers raphia ont disparu de ces régions. On impose des fosses de compostage des cosses de cacao alors que le sol, graillonneux, est increusable…
La solution : le déplacement des centres de décision
On s’en rend se rendre compte, les critères imposés par les labels et la distribution de primes ne résiste pas à la réalité du terrain. Dans la plupart des propositions qui constituent la seconde partie de leur étude, les auteurs insistent sur la nécessité de faire appel à des acteurs locaux, à la fois pour concevoir des règles plus réalistes.
Ainsi, plutôt que de laisser les exportateurs offrir des arbustes à replanter aux paysans sans se demander quelles espèces pouvaient les intéresser, mieux vaudrait impliquer des ONG locales capables de comprendre les besoins. Introduire, par exemple, sur les exploitations, des anacardiers (arbres à noix de cajou), qui protège le cacao de certaines maladies.
Dans le domaine de l’éducation, les auteurs, là aussi, recommandent le pragmatisme : les paysans relais ne savent pas former les planteurs mais la jeunesse est inactive ? Alors formons leurs enfants à l’agriculture dans des centres à visée pratique.
La labellisation éthique, responsable, a été conçue du sommet à la base. Si on veut vraiment qu’elle débouche sur une amélioration des conditions de vie et une moindre pression environnementale, elle se doit d’être plus collaborative.
C’est dans le fond, ni plus ni moins ce qu’ont expliquées les autorités ivoirienne et ghanéenne lorsqu’elles ont décidé, en 2019, de remettre à plus tard la norme d’un caco durable et traçable (voir encadré) : « Les parties prenantes de la chaîne de valeur du cacao ne sont pas encore parvenues à un consensus sur le contenu de la norme ISO 34101 », indiquaient les deux pays dans un communiqué. « Le Côte d’Ivoire et le Ghana ont décidé de s’approprier la norme afin d’y apporter les améliorations nécessaires qui tiennent comptes des intérêts de l’ensemble des acteurs ». Et le directeur exécutif du Ghana Cocoa Board, Joseph Boahen, d’ajouter : « Nous ne voulons pas que ces normes fassent du mal à nos producteurs (…). Nous voulons que nos producteurs soient au centre de ces normes ».
Ce à quoi l’UE a réagit en septembre dernier, lançant un nouveau dialogue multipartite avec ces deux pays en vue d’accroître la durabilité tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
La norme ISO 34101
Publié en 2019, fruit d’une collaboration entre le CEN et l’ISO, ce référentiel a été conçu en quatre parties, pour une mise en œuvre par étapes : Le premier s’attache au système de management de a durabilité du cacao, inspiré des normes ISO 9001 et ISO 14001, la deuxième définit les critères de durabilité retenus, la troisième s’attache à la traçabilité de la fève, et la quatrième partie détaille les méthodes d’évaluation.
Cette norme se veut un point de départ pour les producteurs qui ne seraient pas familiarisé avec le concept de production de fèves de cacao de manière durable, et leur donne du temps pour satisfaire progressivement aux exigences de la première partie, à mesure qu’ils acquièrent de l’expérience.
S.N.
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