Compte-tenu du ralentissement du rythme des négociations de l’Organisation mondiale du commerce, l’Union européenne a développé ses vingt dernières années des accords de libre-échange destinés à garantir une Europe compétitive dans une économie mondialisée. L’accord avec le Canada est entré en vigueur en septembre dernier, celui avec le Japon a été ratifié en décembre, des négociations avec la Nouvelle-Zélande et le Mexique sont en cours. L’accès aux marchés publics des différentes parties fait partie des négociations. Est-ce pour autant un point décisif ? Quel en est l’impact sur les entreprises européennes ? Retour sur un dossier d’actualité.
L’ouverture mutuelle des marchés publics est un enjeu de taille. On estime à 1 700 milliards de dollars le montant des marchés publics ouverts par la ratification de l’Accord sur les marchés publics (voir encadré), conclu entre 47 membres de l’OMC en 1994 et qui n’inclue pourtant pas les marchés majeurs que sont le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. L’Union européenne l’a bien compris, et n’a de cesse de vouloir convaincre ses partenaires économiques du bien-fondé de l’ouverture des marchés publics à des acteurs étrangers.
L’UE en quête de réciprocité
Depuis 2000, l’Union européenne a en effet inclus des règles concernant l’accès aux marchés publics dans un nombre significatif de ses accords de libre-échange bilatéraux : avec le Canada, l’Amérique Centrale, le Chili, la Colombie, l’Équateur, la Géorgie, l’Irak, la Moldavie, la Corée du Sud, le Mexique et le Pérou. Ces accords incluent généralement une définition spécifique des marchés concernés et de ceux qui sont exemptés, ainsi que les règles s’y appliquant, des valeurs seuil et un calendrier de mise en œuvre ; soit un corpus suffisamment détaillé pour qu’il se traduise de façon opérationnelle. Certains de ces accords sont appliqués de façon provisoire, comme c’est le cas du CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) avec le Canada, désigné par les observateurs comme le plus avancé des accords de libre-échange signé par l’UE.
Pourtant, aujourd’hui encore, le déséquilibre est manifeste. Les marchés publics représentent généralement entre 10 et 20% du produit intérieur brut, 18% dans le cas de l’Union européenne, selon les données de la Commission. Toujours selon la Commission, les pays de l’Union européenne ont donné accès en 2012 à des appels d’offre publics d’une valeur totale de 352 milliards d’euros aux signataires de l’AMP non membres de l’Union, cependant que les Etats-Unis ne donnaient accès qu’à des marchés d’une valeur totale de 178 milliards, et que le Japon donnait la main sur 27 milliards. De ce fait, les entreprises européennes ont manqué des opportunités à l’international, faute d’avoir accès aux appels d’offre. Ces dernières années, la Commission a même observé une augmentation des mesures protectionnistes réduisant l’accès à ces marchés publics, dans des pays tels que le Brésil, la Chine, la Russie et les Etats-Unis. La Commission estime ainsi que la moitié des marchés publics mondiaux sont fermés aux acteurs étrangers. Selon le Comité économique et social européen, l’UE a ouvert 80% de ses marchés publics alors que les autres pays développés n’en ont ouvert que 20%. Répondre à un appel d’offre européen est d’ailleurs facilité par la base de données de la Commission, le ‘’Tenders Electronic Daily’’, qui recense les possibilités de marchés publics dans l’Union et dispose même d’un outil de traduction.
« Je suis fermement convaincue qu’un système commercial international ouvert doit inclure des marchés publics. L’ouverture est bénéfique non seulement pour les entreprises, mais également pour les consommateurs, et permet une utilisation efficace de l’argent des contribuables. Elle aide aussi à lutter contre la corruption », soulignait Cecilia Malmström, Commissaire européenne pour le commerce, lorsqu’en janvier 2016 Bruxelles a proposé de mettre en place un nouvel instrument visant à décourager la discrimination envers les entreprises européennes dans les marchés publics des pays tiers. « Les marchés publics représentent un énorme marché. Nous voulons que les entreprises de l’Union puissent avoir accès aux marchés publics en dehors de l’Union tout comme les entreprises des pays tiers ont accès aux autres », ajoutait Elżbieta Bieńkwska, Commissaire européenne pour le marché intérieur, l’industrie, l’entreprenariat et les PME. Les déclarations en ce sens se font plus incisives avec le temps : « Il est urgent de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve actuellement, au Conseil, la proposition de la Commission relative à un instrument international sur les marchés publics », concluait un communiqué de presse publié en octobre dernier par la Commission européenne, indiquant qu’elle poursuivrait ses efforts pour intégrer des chapitres ambitieux sur les marchés publics dans les accords de libre-échange afin d’aider les entreprises de l’Union à vendre à l’étranger.
Canada, Japon : un cran plus haut, au bénéfice des entreprises européennes
Au même moment, le CETA entrait en vigueur, l’accord de libre-échange bilatéral le plus ambitieux signé jusque-là par l’Union. « Le CETA représente un vecteur de croissance et d’emploi en Europe pouvant offrir des opportunités significatives en particulier pour les grandes entreprises industrielles et les PME françaises, garantissant notamment un plus grand accès aux marchés publics canadiens, tant au niveau fédéral qu’au niveau sous-fédéral », a déclaré le MEDEF.
En effet, grâce au CETA, le Canada va d’avantage ouvrir les appels d’offre du gouvernement fédéral, des provinces et des municipalités aux entreprises européennes qu’aux entreprises de ses autres partenaires commerciaux. Le Canada s’est également engagé à faciliter l’accès aux informations concernant les appels d’offre publics, les mettant en accès libre sur un portail unique, comme le fait l’UE. Dans sa plaquette promouvant l’accord de libre-échange, la Commission souligne que les entreprises européennes sont extrêmement compétitives dans des multiples secteurs couverts par ces appels d’offres, tels que la construction ou la modernisation des infrastructures. Le MEDEF International chiffre à 30 milliards d’euros les investissements des villes et provinces canadiennes, et estime que la part de marché pourrait passer de 10 à 40%. Dès l’accord entré en vigueur, le MEDEF a d’ailleurs organisé un séminaire afin d’aider ses adhérents à saisir ces nouvelles opportunités.
L’Accord de partenariat économique (APE) signé avec le Japon en décembre dernier, présente un même potentiel, en ce qu’il garantit aux entreprises européennes un accès aux appels d’offre publics de 48 grandes villes nippones comprises entre 300 000 et 500 000 habitants. L’accord lève par ailleurs les obstacles aux candidatures européennes sur le secteur public du rail, un marché d’envergure.
La place des normes européennes dans les négociations
L’accord signé avec le Japon insiste sur l’engagement des deux parties à s’assurer que les normes deux pays reposent sur des standards internationaux. En cela, « la normalisation occupe une part importante du chapitre Obstacles techniques au commerce des accords de libre-échange bilatéraux signés par l’Union européenne », explique Ashok Ganesh, directeur Perspectives marché & innovation au CEN/CENELEC.
De façon générale, le CEN et le CENELEC s’assurent que les normes et les réglementations sont inclues dans les accords de libre-échange négociés par la Commission. Dans le cas du CETA, une nouvelle étape semble avoir été franchie. « Le Canada a toujours été un allié stratégiquement important pour les organismes de normalisation européennes mais le CETA nous a rapproché », confirme Ashok Ganesh. Lors des négociations, le CEN et le CENELEC ont en effet conclu un accord avec leur homologue canadien, le SCC (Standards Council Canada), établissant un cadre de coopération formel dès 2012. Un accord de trois ans qui a permis d’échanger informations et points de vue sur les problématiques techniques et stratégiques de chacune des parties. Des rencontres bilatérales régulières ont eu lieu afin d’évaluer les progrès réalisés, le cadre de la coopération, et de discuter des futures étapes. Le partenariat a si bien fonctionné qu’il a été renouvelé en 2016 et que le SCC est devenu un ‘’companion Standards Body’’ du CEN en 2017. « Ce partenariat a donné lieu à des échanges constructifs dans les domaines des ossatures bois dans le bâtiment et les réseaux énergétiques intelligents », précise Ashok Ganesh, deux secteurs d’activité pouvant donner lieu à des appels d’offre publics. Au moment de l’entrée en vigueur du CETA, Pierre Pettigrew, envoyé CETA pour le Canada et ancien ministre des Affaires étrangères, insistait sur le fait que l’accord vise à tirer les normes vers le haut.
En 2016, l’Union européenne et le Mexique ont décidé de moderniser leur accord de libre-échange, vieux de près de vingt ans, il s’agissait à l’époque du premier accord signé avec un pays d’Amérique latine. Parmi les premiers sujets mis à l’ordre du jour par l’UE : l’accès aux marchés publics (au même niveau que la propriété intellectuelle, l’énergie, les matières premières, et les produits phytosanitaires). Le dernier round de négociations a eu lieu en janvier, et la question de l’ouverture des marchés publics n’est pas encore tranchée. Commentant les négociations en cours, le représentant du CEN/CENELEC précise que le Mexique, dans la construction de son système normatif, devra assimiler les normes internationales, participer à leur élaboration, et éviter l’imbrication de différentes couches de normes selon qu’elles soient internationales, fédérales, régionales, ou locales.
Aujourd’hui, indique un briefing du Parlement européen en date de décembre dernier, l’UE cherche à inclure des chapitres sur les marchés publics dans la plupart des accords de libre-échange prévus avec des pays ou des zones économiques – Dans le cadre de leur mise à jour comme c’est le cas avec le Mexique et le Mercosur, ou dans le cadre de nouveaux accords, prévus dans les prochaines années avec l’Arménie, le Chili, l’Inde, la Malaisie, le Maroc, Singapour, l’Ukraine et le Vietnam.
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L’Accord sur les marchés publics insiste sur l’importance des normes
Émanation de l’Uruguay Round – le dernier et le plus important des cycles de négociations internationales ayant eu lieu dans le cadre de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce – l’Accord sur les marchés publics (AMP), ratifié en 1994, ambitionne l’ouverture mutuelle des marchés publics entre les signataires, soit 47 membres de l’OMC. Un AMP révisé est entré en vigueur en 2014. A l’issue de plusieurs cycles de négociation, les parties à l’AMP ont ouvert leurs activités de passation de marchés à la concurrence internationale pour une valeur estimée à 1700 milliards de dollars.
L’Accord insiste sur le fait que les spécifications techniques relatives aux appels d’offre doivent être fondées sur des normes internationales lorsqu’elles existent, et lorsque ce n’est pas le cas sur des règlements techniques nationaux, des normes nationales reconnues ou des codes du bâtiment. Pour faciliter la mise en œuvre de l’accord, le Comité des marchés publics a créé un programme de travail sur les normes de sécurité dans les marchés publics internationaux. Dans la version 1994, il était même indiqué que les pays les plus avancés doivent aider les moins avancés à se conformer aux règlements techniques et aux normes concernant les produits ou services faisant l’objet du marché envisagé
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