11 avril 2018. L’Union européenne interdit le double niveau de qualité des aliments au sein du bloc, suite aux plaintes et à la pression exercée par les États membres d’Europe centrale et orientale. En cause : la mise sur le marché de produits en apparence identiques qui, après analyse, se révèlent de qualité différente selon qu’ils sont distribués en Europe de l’Ouest ou en Europe de l’Est. Véritable scandale dans les pays impactés, cette réalité interpelle le citoyen européen et interroge le législateur. Comment protéger le consommateur ? Quels sont les domaines concernés ? Quelles sont les réponses réglementaires de l’Europe et de la France ?
Dans son État de l’Union prononcé en septembre 2017, le Président de l’Union européenne Jean-Claude Juncker fait des doubles standard dans la qualité des denrées alimentaires l’une des priorités de l’année à venir : « Dans une Union où tous sont égaux, il ne peut y avoir de consommateurs de seconde classe. Je n’accepterai pas que dans certaines régions d’Europe, les gens se voient proposer des produits alimentaires de moindre qualité que dans d’autres pays […]. Les Slovaques ne méritent pas d’avoir moins de poisson dans leur poisson pané, les Hongrois moins de viande dans leurs repas, ou les Tchèques moins de cacao dans leur chocolat. » Si le Parlement européen a déjà demandé plusieurs fois à la Commission de se pencher sur la question, c’est en mai de l’année dernière que le sujet a pris une nouvelle dimension, lorsqu’un groupe de 46 parlementaires a interpellé la Commission.
De fait, depuis une dizaine d’années, la problématique des doubles standards a été soulevée de manière répétée par différents États membres, demandant, entre autres, à ce que la Directive de 2005 sur les pratiques commerciales déloyales (Directive 2005/29/CE) soit amendée. Visant à contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et à assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, cette directive pointe du doigt les pratiques commerciales trompeuses. Mais n’en fait pas partie l’éventualité selon laquelle des produits en tous points semblables en apparence pourraient se révéler, de fait, différents en fonction des géographies.
Des différences de standards avérées
Depuis, les différences de qualité ont été démontrées, et les scandales se sont multipliés. Ainsi, en 2017, la ZPS, l’association de consommateurs slovène, a comparé 67 produits en apparence strictement identiques vendus en Autriche et en Bulgarie. L’étude, qui portait à la fois sur une analyse chimique des produits analysés (teneur en acides gras, nitrates, acrylamide, etc.) et sur leurs qualités organoleptiques (apparence, odeur, goût, texture), a révélé des différences de qualité affectant 31 % des produits.
Une question moins simple à trancher qu’elle n’y paraît sur un plan réglementaire et législatif car les associations européennes font valoir des arguments qui n’ont rien à voir avec un éventuel manquement à l’éthique ou à la loyauté commerciale. Ainsi, selon Florence Ranson, Directrice de la communication de FoodDrinkEurope, l’une des raisons à la différence de composition des produits est liée aux différences de goûts d’un pays à l’autre et non à une dichotomie Est / Ouest. « Certaines entreprises ont des sites de production qui servent les marchés italiens, croates, autrichiens et hongrois car les consommateurs y ont des goûts similaires », indique-t-elle. Par ailleurs, l’approvisionnement en matières premières peut être local, ce qui pourrait également expliquer des différences de goût.
Ainsi, Coca Cola, dont il a été démontré que les boissons gazeuses contiennent davantage de sirop de fructose et glucose en Slovénie qu’en Autriche, a expliqué que les recettes sont adaptées aux goûts locaux. D’autres grandes marques comme Lidl ou Pepsi ont également fait valoir qu’elles répondent également à une demande locale et ne cherchent pas à tromper délibérément les consommateurs.
En dépit de ces explications, Vĕra Jourová, Commissaire européenne chargée de la justice, des consommateurs et de l’égalité des genres a déclaré dans un communiqué que « Présenter deux produits différents avec le même emballage et sous la même marque est une pratique trompeuse et déloyale vis-à-vis des consommateurs […]. Je suis déterminée à mettre un terme à cette pratique, interdite en vertu du droit de l’UE, et à faire en sorte que tous les consommateurs soient traités sur un pied d’égalité ».
La contre-attaque de l’EU
Conjointement à cette déclaration, le 26 septembre la Commission publie un guide sur l’application aux denrées alimentaires présentant un double niveau de qualité, de la législation de l’UE en matière de denrées alimentaires et de protection des consommateurs – Ce guide se devant d’aider les autorités nationales à déterminer si une entreprise enfreint la législation de l’UE lorsqu’elle vend des produits dont la qualité varie selon les pays. Le guide rappelle notamment que les autorités nationales peuvent et doivent s’appuyer sur le règlement concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires ainsi que sur la directive sur les pratiques commerciales déloyales. La fiche d’information publiée parallèlement au guide donnait quelques exemples : une marque de café vendant un café contenant moins de caféine et plus de sucre bien que partageant les mêmes marque et dénomination, des bâtonnets de poisson surgelés contenant moins de poisson, du thé glacé contenant moins de sucre contre d’avantage d’édulcorants. Rappelons que jusque là, si la législation européenne exige que l’étiquetage comprenne une liste complète des ingrédients, elle n’impose pas qu’une marque soit attachée à une recette et une seule.
Mi-octobre, la Commission a participé à un Sommet des consommateurs à Bratislava, une réunion ministérielle organisée par les gouvernements slovaque et tchèque consacrée à la question du double niveau de qualité des denrées alimentaires. En parallèle, le Centre commun de recherche (JRC) de la Commission a commencé à élaborer une méthodologie visant à améliorer les tests comparatifs réalisés sur les denrées alimentaires.
Ces premières mesures n’ont pourtant pas semblé satisfaire les États membres d’Europe centrale et orientale. Une pétition présentée par János Méry, député slovaque, a demandé en octobre à ce que la réglementation soit revue ; un autre député slovaque, en février 2018, a demandé comment la publication d’un code de conduite à destination de l’industrie agroalimentaire pourrait-elle les faire réagir ; en février encore la député polonaise Karol Karski a demandé si des pénalités financières seraient imposées aux producteurs et si de nouveaux instruments seraient mis à la disposition des Etats membres afin d’aider à éliminer de telles pratiques sur leurs marchés.
La réponse de l’UE est arrivée le 11 avril : La Commission a annoncé une nouvelle donne pour les consommateurs, renforçant leurs droits. Cette nouvelle donne « actualisera la directive sur les pratiques commerciales déloyales pour indiquer explicitement que les autorités nationales peuvent évaluer et prendre des mesures contre des pratiques commerciales trompeuses relatives à leur commercialisation, dans plusieurs États membres, de produits dits identiques alors que leur composition ou leurs caractéristiques sont sensiblement différentes. « Nous voulons indiquer noir blanc que le double niveau de qualité des aliments interdit », précisait Vĕra Jourová à la presse spécialisée. La nouvelle directive proposée amendera la Directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales, introduisant notamment des pénalités pour non-respect des règles. Ces nouvelles directives seront prochainement mises au vote au Parlement européen et au Conseil. « Si ces directives étaient adoptées », explique le cabinet d’avocats Latham & Watkins dans une lettre d’information à ses clients, « elles entraîneraient des changements importants dans la relation entre les entreprises et les consommateurs. Les dédommagements accordés aux consommateurs devraient être intégrés à tous les business models ».
Une dimension irrationnelle ?
En attendant, comme le soulignait la député européenne Karol Karski, jusqu’alors, seules des campagnes « name & shame », c’est-à-dire de dénonciation nominative des industriels impliqués, semblent avoir pu faire évaluer les pratiques. L’année dernière, HiPP, la marque de produits alimentaires pour bébé, a pris la décision de changer ses recettes après que l’Agence alimentaire croate a mis en évidence une différence de composition entre des produits allemands et leurs équivalents croates, ces derniers contenant moins de légumes et moins d’huile de colza, donc moins d’oméga 3. HiPP a expliqué que cette différence de recette était liée à la demande du consommateur allemand d’une texture plus épaisse, ayant poussé à y ajouter de la pomme de terre, et non à la volonté de mettre sur le marché croate des produits de moindre qualité…
La question n’a donc pas fini de faire débat car on peut comprendre, en effet, que le consommateur puisse avoir un palais différent de Brest à Bratislava. En revanche, mettre en avant des différences culturelles aura sans doute un moindre poids dès lors qu’il s’agira des produits d’hygiène et de propreté, eux aussi concernés.
En effet, un récent rapport du Comité pour la protection du consommateur (2018/2008 INI) souligne que les cas rapportés ne concernent pas seulement les produits alimentaires mais également les détergents, la cosmétique, l’hygiène corporelle, les produits pour bébé et notamment les couches culotte. A plusieurs reprises les parlementaires des pays d’Europe centrale et orientale ont interpellé le Parlement sur cet aspect précis, de la Hongroise Edit Bauer en 2013 à la Tchèque Olga Sehnalová plus récemment. L’année passée, la Croatie a testé 26 produits croates et autrichiens et a bel et bien noté une différence significative de qualité au sujet d’une lessive.
La voie législative est-elle la seule réponse possible à une problématique multifactorielle, probablement pas. Élaborer une méthodologie commune le test des produits par-delà les frontières nationales en est une autre, c’est en cours, relevant de l’idée qu’on ne peut comparer que ce qui est comparable, objectif dont relève également la normalisation. Une approche non politique pourrait par ailleurs rassurer, alors que certains voient dans l’interpellation des pays d’Europe centrale et orientale un prétexte à un virage protectionniste.
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Et dans l’hexagone
Si la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne collecte pas d’informations sur des pratiques extraterritoriales, les enquêtes menées par les associations de consommateurs des pays d’Europe Centrale et Orientales ne semblent pas d’avantage impliquer les entreprises françaises. Les principales multinationales régulièrement pointées du doigt sont les américains Coca Cola, PepsiCo et BirdsEye, les Allemands Hipp et Lidl, le Néerlandais Spar.
Pour autant, la France n’est pas exempte de pratiques discutables. Il a en effet fallu attendre un arrêté publié au Journal Officiel le 24 mai 2016 pour que certains produits distribués outre-mer cessent de contenir beaucoup plus de sucre que les mêmes produits distribués en métropole. « La teneur en sucres ajoutés des denrées alimentaires de consommation courante distribués dans les départements et territoires d’outre-mer ne peut être supérieure à la teneur en sucres ajoutés la plus élevée constatée dans les denrées alimentaires de la même famille les plus distribuées en France hexagonale », prévient l’arrêté. Là aussi, les industriels ont justifié cette différenciation par un goût plus prononcé pour le sucre outre-mer. Des études récentes affirment cependant que le goût du sucre est lié à des habitudes créées dès l’enfance.
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