Alors que la pandémie de covid-19 entrainait une chute de l’activité globale, la contrefaçon s’adaptait aux nouveaux besoins des populations – en produits sanitaires notamment – bénéficiant de l’explosion du commerce dématérialisé liée aux confinements. Les autorités de contrôle adaptent leur traque en conséquence.
26 mai 2020, bureau des douanes d’Aulnay-sous-Bois, en banlieue parisienne. 200 000 masques chirurgicaux en provenance de Turquie sont interceptés, contrefaçon de la marque 3M. Des saisies telles que celles-ci, il y a en a eu beaucoup depuis le début de la crise sanitaire, qu’il ce soit agit de masques, de gels, ou de tests. En 2020, l’OLAF, Office européen de lutte anti-fraude, a enquêté sur deux millions et demi de masques contrefaits, 140 000 litres de gel hydroalcoolique fallacieux, 105 000 sprays désinfectants et 31 500 tests de contrefaçon ! « Le virus a créé de nouvelles opportunités pour la contrefaçon, en particulier sur le marché lucratif des masques et des gels hydroalcooliques ; autant de défis pour l’OLAF », explique Ville Itälä, directeur général de l’Office.
La santé en première ligne
En effet, les importations de produits sanitaires en provenance de Chine ont augmenté de 900% au deuxième trimestre 2020, en comparaison avec le même trimestre de l’année précédente. Au printemps 2020, confrontées à la croissance exponentielle du nombre d’infections et de décès, les autorités européennes ont été contraintes d’agir rapidement afin d’essayer d’enrayer l’épidémie. Il a été notamment décidé d’accélérer le processus de certification des masques, désinfectants et respirateurs en provenance de l’étranger – principalement de Chine – afin de répondre à la demande. « Il est rapidement apparu que l’assouplissement des règles avait permis d’accélérer l’approvisionnement », commente l’OLAF, « mais qu’il était également devenu plus facile pour des millions de produits médicaux de rentrer en Europe avec des certificats de conformité falsifiés ». Dès le 19 mars 2020, l’OLAF lançait des investigations afin d’identifier des entreprises aux profils douteux qui pouvaient servir d’intermédiaires.
En parallèle, les autorités de contrôle ont également dû s’assurer que les produits sanitaires non contrefaits étaient mis a la disposition du consommateur dans de bonnes conditions. Dans cette perspective, la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) a contrôlé en 2020 plus de 40000 établissements afin de garantir le respect de l’encadrement des prix : 2 300 offres en ligne de gels hydroalcooliques à prix excessifs ont été ainsi retirées de la vente sur internet.
Les plateformes digitales, boîte de pandore
En France, le commerce électronique a augmenté de 8,6% en valeur en 2020, de 32% si l’on s’en tient aux chiffres des seuls produits (par opposition aux services). Une augmentation d’un tiers qui s’explique notamment par les deux périodes de confinement, ayant entraîné des pics d’activité sans précédent sur la vente en ligne de produits. Entre ces deux périodes les ventes sont restées à un niveau élevé.
« La hausse du e-commerce touche également les ventes en ligne réalisées par les places de marché qui ont pu fournir un débouché pour de nombreuses TPE/PME et limiter le recul de leurs ventes », rapporte la FEVA, Fédération du e-commerce et de la vente à distance. « En moyenne sur l’année 2020, les places de marché ont progressé de 27%, soit deux fois plus vite qu’en 2019 » – Et avec elles les fraudes.
Une enquête menée par la DGCCRF en 2020 a montré que, pour certaines catégories de produits, une part importante de ceux vendus sur les principales places de marché ne respecte par la réglementation applicable, voire présente des risques graves pour la sécurité des consommateurs : 54% des produits prélevés étaient non-conformes, 33% dangereux. C’est notamment le cas des jouets, des adaptateurs électriques, des aliments et boissons, du tabac – Autant de dangers pour la santé humaine.
L’environnement en danger
La protection de l’environnement est également dans les radars des autorités car les produits de contrefaçon présentant une menace pour l’environnement connaissent une croissance préoccupante : « La fraude affectant l’environnement et la biodiversité est devenue une véritable tendance », rapporte l’OLAF.
L’année dernière, un cargo de 14 tonnes de gaz réfrigérants (HFC) a ainsi été saisi par l’OLAF avant d’atteindre le marché européen. « L’impact environnemental de ces gaz défectueux aurait eu la même empreinte que 38 vols aller-retour entre Amsterdam et Sidney ».
Quant aux pesticides contrefaits, « ils représentent jusqu’à 13,8% des pesticides utilisés dans l’UE », indique Ernesto Bianchi, directeur général adjoint de l’OLAF.
Entre le 13 janvier et le 25 avril 2021, 1203 tonnes de pesticides contrefais ont été saisies dans 35 pays – 1203 tonnes de pesticides, cela correspond au volume de 458 piscines olympiques – pour un montant de 80 millions de dollars. Au-delà de la valeur marchande de ces produits phytosanitaires, c’est leur impact potentiel qui impressionne. Avec 1203 tonnes de pesticides, un agriculteur pourrait pulvériser 185 000 km2, soit toute les surfaces agricoles du Portugal et de la Pologne réunies. Et on estime qu’aujourd’hui en Europe, entre un champ sur dix et un champ sur sept seraient traités avec des produits phytosanitaires contrefaits. « Le risque d’être repéré et arrêté est mince », explique Rien Van Diesen, expert en pesticides contrefaits à Europol, « au regard des marges énormes qui sont réalisées sur ce type de produits ».
Tous les acteurs institutionnels l’affirment, il est indispensable de travailler avec les entreprises afin de protéger la propriété intellectuelle, les brevets, et, in fine, les consommateurs comme la planète. Les Douanes françaises viennent de publier un plan d’actions allant dans ce sens, préconisant « une plus grande implication et responsabilisation des titulaires des droits ». Comment ? En adoptant une coopération différenciée et adaptée aux titulaires des droits, en montant des actions de communication auprès du secteur privé, en organisant des journées d’action anti-contrefaçon, en sensibilisant les vendeurs et les acheteurs en ligne.
L’industrie phytosanitaire l’a bien compris. « La coopération entre l’industrie et Europol sur les pesticides illicites est plus vitale que jamais », confirme Géraldine Kutas, directrice générale de CropLife Europe. « Pour se faire, nous devons continuer à sensibiliser les agriculteurs et les canaux de distribution afin de nous assurer qu’ils rejettent les propositions criminelles ».
Chez Corteva, l’un des quatre grands acteurs mondiaux du secteur, on a mis en place un programme intitulé « Grow Right » – Faire pousser correctement – à savoir un ensemble de formations destinées à la fois aux employés et aux clients. « Les employés eux aussi doivent apprendre à reconnaître des produits contrefaits et être capables de réagir rapidement et prudemment », témoigne Thomas Mc Hale, Responsable Propriété intellectuelle & contrefaçon de Corteva au niveau mondial. Le groupe a aussi mis au point un hologramme étiqueté sur tous ses packagings afin de rendre ses produits uniques. « Faire en sorte que les agriculteurs aient les bons réflexes en termes d’achat est fondamental afin d’éviter qu’ils soient escroqués par des réseaux criminels. Le déploiement de notre système d’hologrammes les y aide » ajoute t-il.
On estime qu’aujourd’hui en Europe, la contrefaçon coûte 15 milliards de recettes fiscales aux Etas, sans compter les impacts non quantifiables sur le dynamisme de l’innovation et la confiance du consommateur.
Catégories :Uncategorized