L’industrie touristique se relèvera t-elle de la crise sanitaire qui l’a frappée brutalement il y a dix-huit mois ? Le législateur s’y emploie, la normalisation aussi, l’ISO ayant formalisé dans l’urgence des protocoles visant à favoriser la réouverture des établissements touristiques. Mais les attentes des consommateurs sont-elles encore les mêmes ? Pas nécessairement. Pour de nombreux acteurs, la reprise passera par le renforcement des engagements allant dans le sens d’un tourisme plus responsable.
Fin 2020, alors qu’une sortie de crise relevait encore de l’hypothèse, l’Association espagnole de normalisation (la UNE) pressait l’ISO d’élaborer des normes volontaires en matière de protocoles sanitaires afin de sauver un secteur lourdement impacté par la crise déclenchée par la pandémie de covid-19. Un Comité technique se met alors rapidement en place, et les travaux sont menés au pas de charge sous la houlette de Natalia Ortiz de Zarate, dépêchée par l’UNE. « En 2020, l’Espagne a accueilli 19 millions de touristes, contre 83 millions l’année précédente », justifie t-elle. « Sur un total de plus de 16 000 établissements touristiques employant près de 600 000 personnes, quelques centaines seulement sont restés ouverts pendant les périodes de confinement. Le secteur est essentiellement constitué de petites et moyennes entreprises, aux marges souvent minces, ce qui pourrait avoir un effet domino sur les autres secteurs ». Il y avait donc urgence. Au niveau mondial, L’Organisation mondiale du tourisme de l’ONU estime que l’effondrement du tourisme international représente une perte de 1,3 trillions de dollars – onze fois plus que lors de la crise économique de 2009 – et menace 120 millions d’emplois dans le monde.
Sur la base des travaux menés par les Espagnols pour leur pays, commente Grégory Berthou, Responsable développement Consommation, Sport, Loisirs & Tourisme à l’AFNOR, « l’ISO a pu produire un référentiel en mode commando intégrant des protocoles sanitaires de reprise d’activité ». Un référentiel également très attendu par la France, première destination touristique au monde, qui avait accueilli près de 90 millions de visiteurs en 2018, et dont le secteur compte alors pour 7,4% du PIB.
Le protocole développé par l’ISO dans le cadre des « Mesures visant à réduire la propagation du Covid-19 dans l’industrie du tourisme » (ISO PAS 5643) a été approuvé et complété par le Comité européen de normalisation (CEN) au printemps dernier, au mois de mai, une avancée saluée par la Commission européenne. « Le label de sécurité Covid-19 européen du tourisme aidera les entreprises touristiques à assurer des procédures de sécurité avant la saison estivale », a souligné Thierry Breton, commissaire européen en charge du marché intérieur, « augmentant ainsi la confiance des voyageurs, des résidents et des travailleurs du secteur touristique ».
L’UE considère de toute façon que la reprise économique doit se faire sur un mode durable. Le Parlement européen vient ainsi d’adopter une résolution sur la mise en œuvre d’une stratégie européenne pour un tourisme durable : « Après la pandémie, les consommateurs et les générations futures pourraient avoir une approche différente du voyage et du tourisme. L’offre devrait avoir un effet levier sur les changements qu’on anticipe et promouvoir activement un comportement plus responsable du côté de la demande ».
En mai dernier, le Conseil européen enfonce le clou : « Le tourisme européen de la prochaine décennie sera durable, résilient, digital, global, social ».
Des acteurs engagés
En France, les grands acteurs du marché semblent l’avoir bien compris et le virage du tourisme durable a été pris au milieu des années 2010. « En 2011, des études menées auprès de nos clients avait montré que si le développement durable était un concept intégré par tous, il ne constituait pas encore un levier clé pour les clients », témoigne Julie Allison, VP Sustainability & Transformation du group Accor. « Seulement 13% d’entre eux indiquaient prendre systématiquement en compte le développement durable lors de leur réservation ». Mais entre temps, les comportements ont évolué. Cinq ans plus tard, en 2016, une autre étude, réalisée auprès de 7000 clients dans 7 pays différents, avait permis à Accord de tirer des enseignements concrets en matière de comportement consommateur et de développement durable. Et cette année, une autre étude menée par le groupe a conclu que 76% des clients changement activement de mode de consommation pour des raisons environnementales. « On constate une réelle prise de conscience et une évolution notable ces dernières années », conclut Julie Allison, « ce qui peut laisser entendre que le développement durable est désormais un enjeu majeur, que la majorité des clients intègre dans tous les domaines et actes d’achat. Dont acte. En mars dernier, Accor et Expedia, plateforme de réservation en ligne, signaient un accord tripartite avec l’UNESCO en faveur du tourisme durable. Sont concernés les 5200 hôtels du groupe hôtelier, répartis dans 110 pays, soit 762 000 chambres.
Même constat à l’Afnor. « Nous avons mis en place une action de sensibilisation aux normes volontaires en région, en s’appuyant sur des partenaires locaux tels que les agences régionales d’innovation et du développement économique, ce qui nous a permis de remonter beaucoup d’informations terrain », témoigne Gregory Berthou. Le message est clair, les attentes sont de plus en plus fortes de la part des consommateurs et de la société civile d’une manière générale. « Les centres équestres, par exemple, nous ont expliqué recevoir de plus en plus de demande sur la façon dont les équidés sont traités ». Un détail, non, un indice, oui : « On considère que de ne pas se préoccuper de la question du développement durable peut être un frein à la relancer et qu’il faut être au rendez-vous », ajoute t-il.
Les acteurs d’un tourisme de masse l’ont compris, les acteurs du tourisme d’aventure aussi. Fabrice Del Taglia, Directeur général de Nomade Aventure, dont l’entreprise est membre d’Agir pour un Tourisme Responsable (ATR), et qui participe activement au travail de normalisation sur ce sujet au niveau national, estime que « le tourisme responsable s’est plutôt vu validé par la crise sanitaire ». La transmission du virus par un animal sauvage a mis en lumière les problématiques posées par le développement humain – et urbain – au détriment du monde sauvage. En ce sens, le Covid aurait en effet accéléré la prise de conscience et les attentes des voyageurs.
Le tourisme durable, un oxymore ?
L’ADEME, Agence française pour la transition écologique, vient de publier un bilan très détaillé des gaz à effet de serre du secteur en France. Au total, les émissions du secteur du tourisme en France se sont élevées à 118 millions de tonnes de CO2 équivalent en 2018. Cela correspond aux émissions de gaz à effet de serre (GES) de 11 millions de français sur une année entière. La part des émissions du bilan GES qui ont lieu sur le territoire national (50 millions de tonnes de CO2 équivalent) représente 11% de l’inventaire national d’émissions de GES en France, pour un poids de 7,4% du PIB. Plus des trois quarts de ces émissions (77%) sont générés par le transport. L’ADEME identifie trois pistes d’action pour la réduction des émissions de GES du tourisme en France, autour de trois grands leviers classiques : la sobriété (diminuer la longueur d’un trajet, un nombre de visites, une quantité de biens achetés), l’efficacité énergétique, l’intensité carbone par unité d’énergie.
Les préconisations du Conseil européen vont beaucoup plus loin, préconisant l’utilisation de la data et de l’intelligence artificielle au service d’un tourisme intelligent.
Concrètement, il s’agirait d’améliorer la connectivité et le voyage multimodal, de promouvoir les nouvelles technologies, la digitalisation et le partage des données pour mieux comprendre et répondre aux besoins émergents des consommateurs et s’y adapter – et donc améliorer, in fine la planification du développement touristique et la gestion intelligente des flux touristiques.
Le Smart tourism devrait permettre une gestion équilibrée de flux touristiques toujours croissants sur le continent européen pour les rationnaliser. La fin des pailles en plastique ne saurait suffire.
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