L’environnement orbital de la Terre constitue une ressource finie qui est utilisée par un nombre croissant d’États, d’organisations internationales intergouvernementales et d’entités non gouvernementales. La prolifération des débris spatiaux peut avoir des incidences sur la viabilité à long terme des activités spatiales. Dans un contexte géopolitique tendu, l’innovation technologique du secteur privé ne saurait suffire. C’est pourquoi les États, l’ONU et l’ISO s’attèlent à la régulation de l’espace.
Le 4 mars dernier, à 13h25 heure de Paris, un débris spatial de trois mètres de large et de douze mètres de haut s’est écrasé sur la face cachée de la Lune, toute première fois qu’un déchet de l’espace se retrouvait sur une trajectoire de collision avec le satellite de la Terre. L’impact a engendré un cratère compris entre 250 et 700 m2. L’objet céleste étant inhabité, les conséquences de cet incident sont minces. Pour autant, les astronomes craignent une aggravation du problème dans les années à venir, à la fois parce que les déchets spatiaux en orbite, estimés à 900 000, de dimensions allant de la petite clé à molette au gros satellite à la retraite, sont autant de bombes à retardement, mais aussi parce que les lancements s’intensifient, tout comme le nombre d’intervenants – étatiques mais aussi privés désormais. Ce qui complique la régulation de l’espace.
NETTOYER L’ESPACE
Est-il possible de nettoyer de l’espace ? Des scientifiques, des ingénieurs, des techniciens y croient. Des start-up se sont montées ces dernières années, en Europe comme en Asie, pour mettre au point des solutions de science-fiction répondant à une problématique inédite.
Au Japon, la société Astroscale, fondée en 2013, travaille sur un satellite de la taille d’une machine à laver qui pourrait attirer magnétiquement les déchets. « Quand on s’approche d’un débris, celui-ci se met à tourner sur lui-même », explique Mitsunobu Okada, fondateur de l’entreprise. « On se synchronise alors avec son mouvement, s’engageant dans une sorte de danse avec lui. On la stabilise, puis on va le faire descendre dans l’atmosphère, où il va brûler et se désintégrer ». Une méthode de nettoyage à laquelle s’est associée l’Agence spatiale du Royaume-Uni. L’Agence spatiale européenne, quant à elle, a signé un contrat avec ClearSpace, une start-up suisse romande qui fabrique un véhicule permettant d’attraper les satellites et de les pousser dans l’atmosphère pour destruction. La première mission de cette pince spatiale à quatre pattes qui ressemble à un crabe est prévue pour 2025.
« La question des débris spatiaux n’est pas complètement nouvelle », rappelle Luc Piguet, co-fondateur et CEO de ClearSpace, « mais ce qui a vraiment fait la différence, c’est la collision entre les satellites Kosmos et Iridium en 2009 ». Luc Piguet fait référence à un crash survenu le 10 février 2009 entre un satellite militaire russe – Kosmos-2251 – et un satellite commercial de télécommunication américain – Iridium-33. « Cette collision a fait alors plus de 2000 débris, cela a été la première grosse collision », ajoute Muriel Richard-Noca, Chief Engineer et co-fondatrice de ClearSpace. « C’est alors que nous avons eu une prise de conscience ».
GEOPOLITIQUE DES DECHETS VOLANTS
Un satellite russe contre un satellite américain ? Une collision qui tient au hasard et non à une réminiscence de la Guerre froide, mais un hasard qui rappelle toutefois à quel point la question des objets abandonnés dans l’espace n’est pas seulement une préoccupation environnementale mais aussi un enjeu géopolitique majeur – expression de hard power lorsqu’il s’agit d’utiliser des missiles antisatellites, expression de soft power lorsqu’il est question de la gestion responsable de lanceurs ou de satellites obsolètes.
Si les Américains ont abandonné le tir de missiles antisatellites, les puissances émergentes en font, elles, une démonstration de force : La Chine en 2007 et 2015, la Russie en 2015, l’Inde en mars 2019, et, en novembre dernier, les Russes à nouveau – Ce test provoquant une réaction vigoureuse de la part des Etats-Unis. En novembre dernier, les Russes a conduit un test de missile antisatellite. D’après la start-up Leolabs, spécialisée dans l’observation des débris de l’espace en orbite basse, la Russie aurait pulvérisé un vieux satellite espion, Kosmos-1408, lancé en 1982, en orbite à 480 km de la terre. La destruction de Kosmos-1408 a généré 1500 débris, dont certains ne sont pas passés loin de la Station spatiale internationale – « Ce test va significativement augmenter les risques pour les astronautes et cosmonautes de l’ISS ainsi que les autres vols habités », a déclaré Ned Price, porte-parole du Département d’Etat américain. « Le comportement dangereux et irresponsable de la Russie menace la viabilité à long-terme des activités spatiales et prouve qu’en dépit de ses déclarations contre la militarisation de l’espace, la Russie est de mauvaise foi ».
Dans la foulée, en décembre dernier, le Président Joe Biden a proposé de nouvelles normes pour l’espace militaire, ainsi que l’adoption d’un code de conduite – vision réaffirmée en avril 2022 par la Vice-présidente Kamala Harris lors d’un déplacement sur une base militaire en Californie.
DU ROLE DES CADRES VOLONTAIRES
Face aux rivalités entre ces grandes puissances, l’ONU a tôt fait de se positionner. Un an après la lancement du premier satellite dans l’espace, par des soviétiques (Spoutnik-1, 1958), l’Assemblée générale des nations unies a créé le Bureau des affaires spatiales (United Nations Office for Outer Space Affairs, UNOOSA), une organe chargé des questions liées à l’espace, et qui s’est emparé de la question des déchets spatiaux en 2010.
En 2019, ont été adoptées 21 lignes directrices, qui se veulent autant de standards de bonne conduite. La coopération internationale est le fil rouge qui sous-tend ces recommandations, à la fois pour ce qui est de partager des données de suivi de la population des débris spatiaux, comme pour ce qui est d’étudier et d’examiner de nouvelles mesures de gestion de la population des débris spatiaux.
Parmi les pistes proposées : prolonger la durée de vie opérationnelle, trouver des techniques de dégagement des satellites à l’issue des missions, améliorer la désintégrations des systèmes spatiaux lors des rentrées atmosphériques incontrôlées.
Les directives volontaires de l’UNOOSA étant sans effet sur le droit international, raison pour laquelle ces 21 lignes directrices incluent une partie importante sur le cadre réglementaire des activités spatiales. Le Bureau des affaires spatiales presse les organisations interétatiques à revoir leurs règlements, encourage les Etats à revoir leurs législations afin que soient votées des lois en conformité avec les lignes directrices de l’ONU, et rappelle enfin que les Etats sont responsables, les engageant à superviser les activités de leurs propres citoyens.
D’une certaine façon, l’ISO joue son rôle également, ces plus récents travaux offrant un cadre technique, concret, aux aspirations des Nations Unies. Le TC20/SC14, dont le secrétariat est assuré par l’ANSI, a développé ces derniers mois une norme volontaire ainsi qu’un système de notations qui oeuvrent en faveur d’une gestion responsable des déchets spatiaux.
En octobre 2021, la norme ISO 24113 de 2019 sur l’exigence de mitigation des débris spatiaux a été complété par la norme ISO 16158 sur « les systèmes spatiaux et l’évitement des collisions entre objets en orbite » a établi des modalités de collaboration convenues entre les différentes organisations amenée à exploiter des satellites – Un guide qui décrit des techniques pour détecter les risques de proximité, déterminer la probabilité d’une collision, exécuter des manœuvres en vue de les éviter.
S’est ajouté à la norme un système de notation, le « Space Sustainable Rating », auquel ont collaboré l’American Institute of Aeronautics & Astraonautics, l’Agence spatiale européenne, le MIT Media Lab. L’ambition : réduire la quantité de débris dans la galaxie. La première mission de ClearSpace est prévue pour 2025. Si la mission réussit, les opérateurs auront soudain la possibilité de retirer leurs satellites lorsqu’ils ne sont plus en fonction. Ce que l’ISO appelle de ses vœux : « Le grand nettoyage de l’espace ».
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